Hier soir, la France s’est une nouvelle fois retrouvée face à l’Espagne, seulement un mois après la demi-finale de l’Euro perdue par les Bleus, pour tenter d’arracher la médaille d’or olympique. Hélas en vain. Mais une autre équipe, où se trouvaient trois joueurs lensois, a déjà réussi cet exploit. C’était il y a quarante ans.
Les protagonistes
Nous sommes en 1984. Big Brother et la police de la pensée sont restés fictifs. La grève des mineurs a éclaté dans la Grande-Bretagne de Margaret Thatcher. Le lecteur CD existe depuis deux ans seulement, on écoute plutôt des 45 tours. Les gens se trémoussent et s’égosillent sur « Thriller », « Still Loving You » et « Wake Me Up Before You Go-Go ». La France vient de remporter l’Euro à domicile et s’apprête à participer aux JO de Los Angeles. Parmi eux, trois joueurs du Racing Club de Lens.
Didier Sénac est certes le dernier Lensois en date appelé en équipe de France, mais le premier des trois à avoir rejoint l’effectif sang et or. Ce défenseur central y effectue sa formation dès 1977.
Son père, Guy Sénac, a lui aussi joué à Lens dans les années 60 comme défenseur, et a été appelé deux fois en sélection.
Bien inspiré, Didier se met très vite à marcher dans ses pas. C’est ainsi qu’à dix-neuf ans seulement, il foule pour la première fois la pelouse avec le maillot lensois sur ses épaules, pour le dernier match officiel de la D1 1977-78. Il restera en tout dix ans au sein de la défense artésienne, avec à ses côtés Hervé Flak ou encore Daniel Leclercq à ses débuts, et à la fin Jean-Guy Wallemme et Éric Sikora, avant un départ vers Bordeaux.
En février 1981, Daniel Xuereb est encore un joueur lyonnais lorsque Michel Hidalgo l’appelle en Équipe de France, deux saisons et demie après ses débuts en pro. Mais plus pour longtemps. L’été suivant, cet attaquant de pointe rusé rejoint le Racing Club de Lens pour former une attaque qui restera dans les mémoires, avec le Polonais Roman Ogaza et un certain François Brisson, ailier qui débarque à Lens en même temps que lui.
Brisson, formé au Paris Saint-Germain, est déjà un habitué du maillot des Bleus depuis six ans. Pour Didier Sénac, à l’inverse, la porte tarde à s’ouvrir. C’est finalement lors des Jeux olympiques de 1984 qu’il est lui aussi appelé à représenter son pays pour la première fois. Nous y voilà, nos trois mousquetaires sont réunis : Brisson, Sénac, Xuereb. Aux côtés de vieux briscards comme Albert Rust ou Guy Lacombe, et de jeunes talents comme José Touré ou William Ayache.
L’épopée
Les Bleus se sont qualifiés pour les Jeux en l’emportant face à l’Espagne et la Belgique en éliminatoires, puis l’Allemagne de l’Ouest en barrages. Mais étonnamment, malgré un groupe abordable sur le papier, les matchs de poule se révèlent être une marche autrement plus difficile à franchir. Après un match nul 2-2 face au Qatar et une courte victoire 2-1 contre la Norvège, où Brisson inscrit un doublé, c’est Daniel Xuereb qui leur évite l’élimination en égalisant juste après l’heure de jeu face au Chili (1-1).
« La préparation n’a pas été très longue, donc on s’est bonifiés au fil des matchs », reconnaîtra plus tard l’ancien Lensois au micro de France TV Sport. Il faut dire que les conditions étaient loin de ressembler à celles que l’on connaît aujourd’hui : « On dormait à cinq ou six par appartement, on avait mis des matelas par terre. C’était à la bonne franquette. » Pas de quoi entamer pour autant la confiance du buteur, qui se montre décisif à chaque confrontation ensuite. Contre l’Égypte en quarts, il marque à deux reprises et permet à son équipe de retrouver la redoutable Yougoslavie en demi-finale.
Redoutable, parce que ses joueurs sont devenus les favoris de la compétition après avoir infligé une raclée 5-2 à la RFA — que les Bleus avaient certes déjà battue en barrage, mais qui avait été repêchée en raison du boycott des équipes du bloc soviétique.
Comme avec l’Espagne en 2024, la France — de Michel Platini cette fois — avait aussi croisé la route de la Yougoslavie peu de temps auparavant, lors de l’Euro 84. Mais vous connaissez l’histoire : la victoire était allée aux Bleus. L’heure n’est donc pas à la revanche cette année-là. Il y a un titre olympique à aller chercher. Or, ce n’est que la troisième fois dans leur histoire que les Bleus accèdent à une demi-finale olympique, et les deux premières commencent à sérieusement dater : 1908 et 1920.
Pour le plus grand plaisir des spectateurs, l’affiche tient toutes ses promesses, et même plus encore. L’entame de match des hommes d’Henri Michel est réussie : ils mènent déjà de deux buts à zéro au bout d’un quart d’heure de jeu. Mais les Yougoslaves ne l’entendent pas de cette oreille. Le scénario s’emballe, tout comme le bras de l’arbitre qui se transforme en distributeur de cartons. Juste avant la mi-temps, le solide Didier Sénac est emmené à l’hôpital après un choc tête contre tête avec Borislav Cvetković, qui lui fracture la mâchoire.
La tension ne redescend pas en seconde période. Le Yougoslave Jovica Nikolić écope d’un carton rouge après avoir envoyé valser son poing sur le visage de Jean-Philippe Rohr.
Être en infériorité numérique ne les empêchera pourtant pas d’envoyer le cuir au fond des filets à la 63e minute. Ni d’égaliser dix minutes plus tard. Le score est de 2-2, retour à la case départ.
Dans une ambiance tendue, Cvetković finit par se faire exclure à son tour. Mais cela ne suffit toujours pas aux Bleus pour retrouver leur efficacité du début de partie. L’arbitre siffle la fin du temps réglementaire.
Si en prolongation les Yougoslaves tentent de jouer la montre pour arriver aux tirs au but, les Français, eux, sont bien décidés à l’emporter le plus rapidement possible. C’est Guy Lacombe, du TFC, qui trouve enfin la faille grâce à un ballon mal dégagé. 3-2. Le combat est âpre, mais les Bleus tiennent bon. Et quelques instants avant le coup de sifflet final, Daniel Xuereb profite d’une erreur du gardien adverse, qui a voulu dribbler à quarante mètres de sa cage, pour inscrire le quatrième but. La France est en finale et ne l’a pas volé.
Le sacre
C’est face au Brésil que les Bleus tenteront d’arracher l’or au Rose Bowl de Pasadena, devant plus de 100.000 spectateurs. Malgré une première période dominée par la Seleção, le score reste vierge. Et, peut-être inspirés par l’éclat de ce métal tant convoité, ce sont deux Lensois qui vont briller en deuxième période.
À la 55e minute, François Brisson débloque les compteurs grâce à un puissant coup de tête. Peu de temps après, Dominique Bijotat tire à son tour. Le gardien repousse le ballon… un peu trop loin pour le récupérer. Daniel Xuereb, qui avait anticipé la déviation, fond dessus comme un renard sur sa proie. Les filets tremblent. Et les Brésiliens aussi.
Au coup de sifflet final, la France est championne olympique. « Recevoir la médaille d’or, ça reste le plus beau moment de ma carrière », résume plus tard celui qui fut le meilleur buteur des Bleus lors de ces Jeux. Un exploit dans l’histoire du football français qui n’est pas encore prêt d’être égalé. Qui sait, peut-être dans quatre ans ?