L’épreuve du temps
Ce week-end, les échos d’un passé plus ou moins récent ont été invoqués dans l’enceinte de Bollaert-Delelis, allant de Franck Haise à Raphaël Varane en passant par Jonathan Clauss. Pour répondre aux interrogations que suscitait ce Lens-Nice, les réactions du public sang et or ont été tranchées. Le vieillissement du vin peut en améliorer la qualité, mais la façon dont il évolue est influencée par de nombreux facteurs, et les saveurs qui en résultent ne sont pas toujours du goût de tous. Il semblerait qu’il en soit de même pour les souvenirs que nous rattachons aux joueurs et entraîneurs de football. Qu’ils aient bercé notre quotidien pendant de nombreuses saisons ou simplement marqué l’histoire du club lors d’un court passage, chacun en gardera une image toute personnelle influencée par de multiples éléments : son affection pour l’homme, le talent de ce dernier, les conditions de son départ ou encore la suite donnée à sa carrière n’en sont qu’un échantillon. À l’approche de la confrontation contre l’OGC Nice, il n’était pas rare de voir fleurir sur les réseaux des sondages interrogeant les internautes sur leur réaction face à l’apparition de notre ancien coach au stade. Avec toujours les trois mêmes options proposées : le siffler, ne rien faire, l’applaudir. Pour certains, impossible d’effacer ses sept saisons passées au club d’un coup de gomme capricieux. Pour d’autres, le fait qu’il parte sur la Côte d’Azur était impardonnable. Finalement, c’est un tonnerre d’applaudissements accompagné d’un chant entonné à plein poumons qui a résonné dans les travées de Bollaert samedi. Et si personne ne peut prétendre tout savoir ni tout comprendre des conditions de son départ, l’évidence reste là : Franck Haise a laissé une empreinte indélébile sur le Racing Club de Lens. Raphaël Varane n’a lui non plus jamais perdu l’amour que lui portent ses premiers supporters, et l’inverse est aussi vrai. L’annonce de sa retraite lui a valu samedi une banderole d’hommage déployée en Marek. Sur son cas, le peuple artésien est unanime : cet enfant de la Gaillette a des pieds et un cœur en or. On pourrait aisément croire qu’il a passé une décennie en équipe première. Pourtant, il ne lui aura fallu qu’une seule saison pour s’attacher irrémédiablement l’affection des supporters lensois. L’enfant prodige, dont le départ pour Madrid aura donné un apport précieux aux finances du club, est désormais une icône. « Le temps adoucit tout », a un jour écrit Voltaire. Apparemment pas toujours, car ce sont en revanche des sifflets qui ont accueilli l’entrée de Jonathan Clauss sur la pelouse de son ancien club. Cette rancœur a de quoi étonner : un départ peut-être mal digéré par certains aurait-il déformé nos souvenirs de ce joueur ? Aurait-on déjà oublié ses courses fulgurantes dans le couloir droit, ses centres soignés et ses nombreuses passes décisives ? Ou encore la joie que son appel en équipe de France nous a procurée en mars 2022, faisant de lui le premier joueur lensois sélectionné chez les Bleus depuis dix-huit ans ? Il est vrai que le cœur a ses raisons que la raison ignore. Néanmoins, rappelons-nous qu’au bout du compte, seuls les supporters restent. Un club de football est comparable au bateau de Thésée : avec le temps, les départs de ses joueurs et têtes pensantes sont inévitables. Ils suscitent des sentiments paradoxaux, étant donné l’attachement viscéral aux représentants de nos couleurs. Mais il serait sans doute bon d’en rester conscients et d’aborder chacune de ces séparations avec le pragmatisme qui s’impose, et, aussi, un brin de philosophie. Que tel ou tel homme parte ou reste, Lens restera toujours Lens.
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