CULTURE SANG & OR

Bollaert-Delelis, potentiel inexploité ?

L’arène a toujours été le lieu des rassemblements populaires par excellence. L’alter ego des temples et autres lieux de cultes monothéistes. Où les populations se sont toujours retrouvées autour d’un but commun. Panem et Circenses. De l’Antiquité à la révolution industrielle, du Moyen-Âge au monde postmoderne dans lequel nous vivons, le stade est un lieu de communion, où les différences ont tendance à s’effacer. On va au stade pour supporter ses couleurs, en oubliant les soucis du quotidien. On se met à disposition de quelque chose que l’on sait plus grand que soi. La sécularisation de nos sociétés a tendance à transformer ces antres sportives en lieu de culte païen, où sont célébrés les héros des temps modernes : les sportifs. Quelle autre discipline que le sport roi pour illustrer cette tendance ? Il n’y a qu’à passer quelques heures sur les réseaux sociaux pour prendre la mesure de l’impact d’un stade de football dans son territoire.

Le stade Bollaert à guichets fermés : pléonasme (crédit : but football club)

En France, pays marqué par une tradition de forte implication des pouvoirs publics dans les infrastructures sportives de haut niveau, seuls l’Olympique Lyonnais, l’AJ Auxerre et l’AC Ajaccio peuvent se targuer d’être propriétaires de leur stade. Le club de Jean-Michel Aulas a même entièrement financé la construction du Groupama Arena, ce qui – sans injure aucune aux stades de l’Abbé Deschamps et François Coty, de tailles beaucoup plus modestes – fait de l’Olympique Lyonnais un cas d’école unique en France. La rumeur est donc devenue information, le RC Lens serait intéressé par le rachat du stade Félix Bollaert-Delelis. L’Avenir de l’Artois en fait d’ailleurs sa Une le 2 août 2022. 

Joseph Oughourlian semble être venu en Artois avec pour projet de s’inscrire dans la durée. A son arrivée, l’homme d’affaires basé à Londres a d’abord dû éponger des dettes colossales et insoutenables pour un RC Lens alors en L2. L’objectif à court-terme était de remettre le bateau à flot, afin de mieux projeter une remontée et pérennisation dans l’Élite. Le plan sportif se déroule pour le moment sans aucun accroc. Si on appliquait la méthodologie de la pyramide de Maslow au football, le sportif se doit d’en être la base. Toujours. Viennent ensuite la communication, et le marketing/commercial. Car c’est bien de ce dernier dont on parle aujourd’hui. 

Quels avantages d’une telle acquisition ?

Au service du sportif, la direction a d’abord réalisé d’importants investissements à la Gaillette, que l’on peut considérer comme le cœur du réacteur Sang et Or. Que ce soit dans les équipements, l’expertise humaine et les outils mis à disposition du staff, le RC Lens s’est donné les moyens d’être performant chaque weekend sur le rectangle vert. Grand bien lui fasse, les Sang et Or ont terminé les deux précédents exercices à la 7ème place, déjouant tous les pronostics. En parallèle des travaux réalisés dans le sportif, le board du RC Lens planche sur le développement des infrastructures. Et bien évidemment, ces réflexions ne datent pas d’hier. Après la réouverture de la boutique située dans la galerie commerciale AuShopping de Noyelles-Godault, le club semble vouloir s’attaquer à un autre morceau. En rachetant Bollaert, le RC Lens mettrait la main sur un des outils principaux d’un club de football. Plus qu’un stade, l’antre des Sang et Or peut même être considérée comme la vitrine absolue d’un club dont les supporters ont toujours tenu une place à part, de par leur fidélité et leur ferveur. Mais quels seraient les avantages d’une telle acquisition, et dans quel contexte s’inscrirait-elle ? 

Bien que le Racing jouit d’un contrat de location très à son avantage, le bail emphytéotique signé en 2002 permettant au club de pouvoir jouer à Bollaert et de percevoir l’entièreté des bénéfices billetterie, la volonté d’acquérir le stade s’inscrit dans la dynamique actuelle de croissance du club. En étant propriétaire de Bollaert, le Racing club de Lens pourrait ainsi y réaliser des investissements afin d’augmenter la rentabilité de l’asset “stade”. Les stades français ne sont aujourd’hui que de simples infrastructures de verre et de béton dans lesquels on se rend deux à trois fois par mois afin d’y supporter nos héros. On y reste globalement deux bonnes heures, et puis on s’en va. Tout directeur marketing qui se respecte y verrait là un potentiel commercial inexploité. 

Un stade à FORT potentiel

Et Bollaert-Delelis est un stade à potentiel assez unique en France. En plus d’être peuplé de (très) fidèles supporters en L2, le club a eu le plaisir de voir son affluence revenir à des standards très élevés en L1, arrivant parfois même à saturation, avec un taux de remplissage de près de 95% / 11 guichets fermés. La campagne d’abonnement bat actuellement son plein, et la barre des 30 000 abonnées pourrait être atteinte. Le stade Bollaert-Delelis, dont la capacité pourrait à terme tutoyer de nouveau les 40 000 places, jouit d’une localisation assez exceptionnelle, étant parfaitement ancré dans son territoire, à quelques encablures de la gare et en plein cœur du bassin minier. Élément d’importance qui, à titre de comparaison, est le grand point faible de la référence lyonnaise citée précédemment. En France, rares sont les stades de plus de 40 000 places réunissant les mêmes critères que le stade Bollaert. 

Quelles pourraient être les actions mises en place par le club s’il devenait propriétaire de l’enceinte ? On s’est amusés à les recenser : 

  • l’augmentation du nombre de loges VIP, qui permettraient d’augmenter le chiffre d’affaires billetterie, et éventuellement d’absorber une partie de l’onde de choc relative à une obligatoire nécessité d’augmenter le prix du billet ?
  • la multiplication des points de vente alimentaire et merchandising au sein du stade, afin de relayer les ventes des friteries et boutiques Emotion Foot de Lens et de la galerie Au Shopping ?
  • l’investissement dans des infrastructures hôtelières au sein de Bollaert, comme c’est le cas dans certains stades de football ?
  • la création d’un espace de vie dédié au RC Lens à proximité du stade Bollaert ?
  • l’organisation d’événements hors foot, que ce soit des concerts, des séminaires professionnels, ou l’hébergement de compétitions sportives – le RC Lens n’a-t-il d’ailleurs pas récemment communiqué sur l’alliance des Racings avec le club de rugby des Hauts-de-Seine ?

On l’a compris, le potentiel du RC Lens ne se résume pas qu’au sportif, et c’est sûrement ce qui est présenté aux potentiels investisseurs depuis de nombreux mois. Dans un environnement extrêmement fragile qui a récemment pris de plein fouet la double crise Covid / Mediapro, et dans lequel le darwinisme est la seule règle qui vaille, le RC Lens se doit de développer et optimiser chacun de ses atouts, tout en préservant le subtil équilibre avec les valeurs auxquelles les supporters lensois sont très attachées. On pense forcément au projet “tribunes debout”, qui semble satisfaire aussi bien les dirigeants que les supporters. En 2022, on ne peut attendre des résultats sportifs et dans le même temps rejeter la dimension économique du football. Que l’on soit pour ou contre, le futur du club que nous aimons tant passera aussi par là. 

Le RC Lens recrute d’ailleurs un responsable marketing pour la rentrée de septembre. 

Ecrit par Antoine

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