Le football est devenu un produit de consommation de masse, même si ce dernier traverse actuellement une crise existentielle majeure. Hormis dans quelques pays, le football est le sport roi. Sa consommation évolue. Les nouvelles générations le font avec leur smartphone à la main. Free propose de voir des actions en “presque direct”. Évolution, involution, là n’est pas le débat. C’est simplement une contextualisation. Avec l’avènement des réseaux sociaux, la démocratisation des jeux de simulation, des paris sportifs et autres fantasy leagues, tout le monde est à peu près devenu un entraîneur, un président, un directeur sportif, mais rares sont ceux qui ont eu la chance de côtoyer le football de haut niveau de près. L’analyse “café des sports” est visible de tous, et les algorithmes des réseaux sociaux font que les buzz prennent souvent, que dis-je, tout le temps, le pas sur les analyses pondérées. C’est drôle parfois, lourdingue souvent. Le seul point sur lequel je fais preuve de radicalisme, c’est sur la nécessité absolue de nuances. Dès que l’on veut parler sérieusement de football. Car ce sport ne s’analyse pas en 280 caractères. Jamais un fait footballistique ne s’est expliqué par le prisme d’un seul et même facteur. Tu en vois 3 ou 4 ? Il y en a en fait peut-être 10.
A la fin de chaque rencontre, les Top/Flop pullulent sur les réseaux sociaux. On remet une pièce dans la machine. Pourquoi pas, puisque tout le monde le fait depuis des années. Dirigeants, journalistes, chroniqueurs, et aujourd’hui Twittos. Pourtant, je pense qu’il faut toujours essayer de se construire un avis sur des tendances de fond, et surtout de se poser des questions plutôt que d’affirmer quoique ce soit. Prenons le cas Fortes, qui est passé de soldat, à tocard, à bonhomme, et ce en l’espace de 24 mois. Le football est un peu tombé dans son propre piège. On analyse tout à court-terme, et on ne sait plus projeter des performances sur la durée. Le joueur de football doit être opérationnel dans la seconde où il revêt le maillot de son employeur. C’est pour cela qu’on le paye, et qu’on a déboursé des millions pour racheter son contrat de travail, diront certains. Mais ce n’est pas cela, le football.
Le cycle est un long fleuve tranquille
Personnellement, je suis partisan des dynamiques plutôt que de l’observation de performances ponctuelles. Je préfère les boussoles aux thermomètres. Les tendances aux évènements. Où va le joueur, le collectif, le club ? Parfois, il faut effectivement se retenir de lâcher une affirmation, et même si on a tous envie de partager notre sentiment, guidés que nous sommes par cette passion du ballon rond. Sur une période de 3 semaines, l’objectivité ne peut exister. Pour affirmer quelque chose, il faut attendre. Dans le football, ça peut être un an, voire plus ? Qui se rappelle du démarrage d’Antoine Sibierski sous le maillot du RC Lens ? Voire même de celui de Tony Vairelles ? Les carrières ne sont pas linéaires, au contraire. Les cycles kondratiev, le fait que le point bas du moment soit plus haut que le point bas précédent. La progression en gros. Quand tu apprends à conduire ou à parler allemand (pour les plus courageux), tu passes par un cycle de progression, puis de stagnation, avant de repartir de plus belle.
La dimension physique ou athlétique est également à prendre en compte. Certains avancent même que “le football est en train de mourir”, laissant place à un sport d’athlètes. La vision de jeu de Franck Haise et de son staff est assurément basée sur une performance aérobique de très haut niveau. Début janvier, le RC Lens était battu à domicile par Nice et Strasbourg. Le manque de fraîcheur était évident, pourtant les joueurs n’ont pas souhaité l’évoquer. Sincérité, humilité, ou communication ? Nul n’a la réponse. Mais est-ce qu’il serait complètement fou d’émettre l’hypothèse que le RC Lens était effectivement bien dans une période de creux ? Qu’un travail foncier avait pu être réalisé pour être en phase ascendante quelques semaines plus tard ? En prévision d’une fin de saison qui ouvre le champ de tous les possibles ? La puissance dégagée face à Marseille (deux fois), Nantes et Reims semble valider l’idée que le pic de forme, élément clef dans l’analyse de la saison d’un effectif, n’était pas programmé pour être atteint en janvier. Et qu’on est actuellement en train de s’en approcher.
L’analyse ne peut jamais vraiment être standardisée. C’est-à-dire qu’à mes yeux, il est absolument impossible de comparer des situations sans prendre en compte les mille et un facteurs qui les différencient. Au mieux c’est une vulgarisation simpliste, mais souvent on tombe dans le hors-sujet total. Chaque argument peut être contré, sans qu’aucun des débatteurs ne puisse affirmer, au moment où il est pris dans la joute verbale, qu’il a raison. Car même les protagonistes de ce sport vivent dans l’incertitude.
La tactique c’est comme un iceberg
L’analyse tactique d’une rencontre de football est un exercice délicat. Surtout de l’extérieur, et quand on est impliqué émotionnellement. Le livre “Comment regarder un match de foot ?” donne des clefs. Il est indispensable de prendre en compte des éléments invisibles comme les consignes du coach. La tactique, c’est comme un iceberg. On ne voit vraiment qu’une infime partie du travail réalisé par un groupe. Si je te pose la question suivante : « quelle est la différence entre le 3-4-3 de Montanier et le 3-4-1-2 de Haise, que me répondras-tu ? Que la question est hors-sujet, car le schéma tactique n’est rien sans l’animation des onze bonhommes sur le terrain.
On croit savoir lire un dispositif tactique, mais en fait pas du tout. Le dispositif que vous lisez sur l’Équipe ou la Voix du Nord avant une rencontre n’est qu’une projection de ce qui se passe en phase défensive, ou passive. On le voit bien, à la récupération du ballon, on peut voir un Fortes remonter au milieu pour faciliter la relance au sol, un Kakuta descendre derrière Fofana et Doucouré pour se sortir d’un marquage individuel, un Médina ou Gradit avancer jusqu’à la surface de réparation adverse pour amener du surnombre. Sotoca joue parfois latéral, milieu central ou attaquant. La fameuse tectonique des plaques. Et encore, on n’a pas intégré les consignes individuelles du coach (que personne en dehors du staff ne connaît).
Under the spotlights
Il y a également des postes qui sont plus exposés que d’autres. Cela ne veut pas dire qu’il y en a des plus importants que d’autres, mais seulement que certains rôles sur le terrain sont beaucoup plus difficiles à juger que d’autres. Un 9, à la rigueur, peut être jugé de manière binaire. Marque ou ne marque pas ? Et encore, Sotoca nous démontre l’inverse.
Cela démontre à quel point le recours à la donnée statistique peut être limité par des dimensions tactiques qui nous échappent. La stat joue un rôle prépondérant dans la recherche de la performance sportive, et tout le monde se rappelle de ce fabuleux film qu’est Le Stratège. Je suis un grand amateur de statistiques sportives, mais je pense que ces dernières ne doivent pas devenir une obsession, ou un moyen permettant de justifier tout ce qui se passe sur le rectangle vert. Au RC Lens, il y a des experts de l’exploitation de la statistique, et d’autres – dont la personne clef du staff – qui préfèrent se concentrer sur les ressentis perçus depuis le bord du terrain.
Celui de gardien de but est selon moi le poste le plus difficile à analyser. Parfois, il faut avoir l’humilité de ne pas avoir d’avis. Beaucoup analysent les performances du gardien sur le nombre de buts encaissés, ou les clean sheets affichés. Le numéro 1, ou 16, est seul, souvent différencié des joueurs de champ par un maillot aux couleurs aléatoires. Un gardien, c’est un peu comme un pêcheur qui part en haute mer. Un skipper qui part faire le Vendée Globe. Il peut être en forme, préparé, concentré sur les moins détails mais se retrouver submergé par des vagues contre lesquelles il sera impuissant. Il peut être lâché par sa défense, encaisser des buts sur lesquels il ne peut rien, victime du déséquilibre du bloc défensif devant lui. Et à la différence de ses dix coéquipiers, il est bien le seul à ne pas avoir le droit à l’erreur individuelle.
De remplaçants à finisseurs
La gestion du temps de jeu d’un effectif de football professionnel est en plein bouleversement. Le passage à cinq remplacements autorisés par match change le paradigme, facilitant grandement le travail managérial des entraîneurs de football. Les joueurs qui sont assis sur le banc de touche ne sont plus aujourd’hui considérés comme des remplaçants, mais comme des finisseurs. Il n’est pas rare de voir des joueurs entrer à la mi-temps désormais. Dès l’heure de jeu, les postes consommateurs en énergie subissent les premiers mouvements venant du banc. Des joueurs ayant “un petit moteur”, comme Kakuta, sont donc plus facilement préservés d’une surchauffe physique.
Haise est également passé maître dans l’art de la composition inattendue. Comme il l’expliquait récemment en conférence de presse, le coach lensois travaille en amont sur des séquences de compositions. Mais que généralement, seule la première était véritablement respectée, dans la mesure où les blessures, suspensions, et autres faits de jeu, l’obligent à procéder à certains réglages. Cette anecdote, qu’il a livrée en conférence de presse, dénote tout de même de l’état d’esprit général du coach, et de sa façon de manager. Faire en sorte que chaque joueur reste concerné, impliqué. Un remplaçant heureux, c’est forcément un groupe qui vit mieux.
Le joueur de foot, créature sportive humanoïde
Chaque joueur est une personne humaine. Chaque personne humaine a des caractéristiques propres. Chaque collectif repose donc sur une diversité de profils techniques, physiques et humains uniques. Cela laisse imaginer à quel point le travail d’équilibre dans un groupe et sa transposition sur le pré est une affaire des plus complexes. Le standard propre au football est d’échouer, la réussite étant l’exception. Quand tout fonctionne, et qu’en plus c’est beau, c’est que forcément il y a une grande compétence et un travail titanesque en invisible, mais également de la réussite. Qui se provoque ? Tu vois, on repart de nouveau dans une rhétorique sans fin.
J’avais décidé de faire ce papier avant la bombe lâchée par Konbini. La femme de Gaël Kakuta, Instagrameuse populaire, confessait que son dernier accouchement s’était terriblement mal passé. On oublie souvent que les joueurs sont avant tout des êtres humains, et qu’en dépit d’une volonté de fer, d’un professionnalisme à toute épreuve, qui peut lui-même être mis à mal par un statut inconfortable dans un effectif, il leur arrive de passer complètement à côté de leur match sans que cela ne soit imputable à leur activité professionnelle.
Le sport de haut niveau, c’est une redoutable mécanique de précision. Quand il est joué collectivement par vingt-deux acteurs, on pourrait presque considérer une saison réussie comme un exploit. Je vous laisse imaginer ce que je pense de la réussite actuelle de Franck Haise.
Les soft skills, éléments clefs dans le football
Chaque joueur a sa personnalité. Et chaque personnalité s’adapte plus ou moins bien à une situation donnée, qui est constamment remise en question, voire bouleversée. Un joueur est donc un être humain qui enchaîne les CDD, change de pays, de collègues, de maison, d’environnement, et quand ce dernier a la chance de jouir d’une certaine stabilité géographique, il voit tout de même défiler des entraîneurs, adjoints, coéquipiers, voire dirigeants différents. Vie de caméléon. On parle souvent des compétences techniques et physiques d’un joueur, de sa supposée hargne sur le terrain (parfois ramenée à une grimace faite suite à un but). Mais on ne parle jamais de ce qui est communément appelé « soft skills » dans le football : à savoir les compétences invisibles de comportement, d’adaptation, de pugnacité, voire de résilience. Fortes, si tu me lis, je pense très fort à toi.
Certains joueurs bénéficient donc d’un statut par leur expérience, leur état d’esprit, voire leur soft skills. Ceux qui semblent ne jouer aucun rôle en ont parfois un. Zak’ Diallo par exemple. Zéro match disputé cette saison, mais une influence plus qu’importante dans le vestiaire. Membre du conseil des sages, il est encore aujourd’hui un des piliers du vestiaire du RC Lens. Un groupe, c’est une somme d’expériences. Entre les Fortes, Leca, Cahuzac, voire Clauss, Sotoca ou Haidara, on peut dire que ce groupe est riche de joueurs qui ont connu d’énormes galères.
Le foot est un jeu de table
Les nouvelles générations sont toutes familières avec Football Manager. Le business du foot est en pleine expansion, que cela nous plaise ou non. Chaque aspect sportif et extra-sportif est scruté, analysé et optimisé, surtout au très haut niveau. Les avocats prennent de plus en plus la place des agents sportifs, et chaque clause est ardemment négociée. Une clause qui apparaît de plus en plus dans les contrats, c’est celle du nombre de matchs disputés dans une saison. J’ignore complètement si ce type d’accord est aujourd’hui en vigueur au RC Lens version 2020/2021, mais il arrive que certaines compositions d’équipes soient influencées par des éléments contractuels. On en a eu la preuve avec l’affaire Jimmy Briand, il y a quelques semaines.
Regardons la vie en gris
On dit souvent que le football est le reflet de notre société. C’est absolument vrai. Que ce soit dans le bon ou dans le moins bon, on retrouve énormément de parallèles entre ce qui se passe sur le terrain, dans les tribunes, les boutiques officielles et sur les réseaux sociaux. Et a fortiori, dans le football comme dans la vraie vie, tout n’est pas tout blanc ou tout noir. Aujourd’hui plus que jamais, je crois que ce vieux poncif a de beaux jours devant lui.
Ecrit par Antoine (@l2F_bm)