CULTURE SANG & OR

Luc Dayan : « Ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a eu des moments où j’ai cédé et d’autres où je n’ai pas cédé. »

Invité de l’épisode 19 de l’émission Culture Sang et Or, Luc Dayan est revenu sur son passage à la tête du Racing Club de Lens et évoque la situation actuelle du football.

Luc Dayan (crédit photo : La Voix du Nord)

Thomas Deseur : A la fin de l’année 2012, le Crédit Agricole fait appel à vous pour occuper la fonction de président du Racing Club de Lens. L’idée étant de réaliser une transition, afin de maintenir le club financièrement et sportivement, pour en réaliser la revente auprès de Gervais Martel avec l’appui d’Hafiz Mammadov. Parlez-nous de ce premier jour où vous êtes arrivé à La Gaillette.

Luc Dayan : J’avais demandé que l’on réunisse tout le monde dans l’amphithéâtre de La Gaillette, les salariés, les joueurs et les associations de supporters, pour se présenter et expliquer la situation. Il a fallu affronter le fait que j’ai été président du LOSC qui, je le savais, pouvait se montrer problématique. Même si nous avions joué à l’époque avec Lille à Lens, j’ai pu garder d’excellentes relations avec les dirigeants et des amis à Lens.

Mais le 1er jour, je n’en menais pas large, car il s’agissait du 1er jour où Gervais (Martel) n’était plus président, je connaissais la situation financière et l’étendue de la tâche, car le stade Bollaert était dans un état désastreux. Il y avait une Banque (le Crédit Agricole), qui mettait de l’argent, qui se demandait comment faire et qui s’est posée la question s’il ne fallait pas couper.

Il fallait reconnecter tout ça et ce 1er jour je suis arrivé avec Antoine Sibierski, qui adore le club de Lens, en qui j’ai une grande confiance et qui faisait le lien avec les anciens. Je me rappelle ce jour avec beaucoup d’émotion, car il n’était pas sûr que ça prenne, que le discours passe et que les gens comprennent la problématique.


Thomas Deseur : Vous avez succédé à Gervais Martel, est-ce qu’il pensait que vous étiez la personne idoine pour lui succéder ?

Luc Dayan : Gervais m’a dit : « Si ça n’avait pas été toi, je leur aurais mis le feu ». On se connaît avec Gervais et je pense qu’il y a eu cette rivalité à l’époque de Lille, mais je suis un personnage un peu atypique dans ce monde là et je le lui avais déjà dit à l’époque où nous étions à l’UCPF (Union des Clubs Professionnels de Football) et que nous échangions sur les relégations, il me disait « Mais non ! Lens ne descendra jamais ! ». Je suis donc un personnage atypique, mais il sait que je suis droit et que j’aime les clubs, c’est-à-dire que j’aime l’importance qu’ont les clubs dans une ville. J’aime le lien entre les différentes parties et cette complicité. J’adore le football qui fait parti de ma vie.

Ce lien avec Gervais, durant cette période difficile, a probablement aidé à ce que le club n’explose. J’ai fait attention aux mots que je prononçais, car j’avais connaissance de toute la problématique financière. J’étais là pour trouver les conditions afin que le club puisse : 1) rester en vie et 2) créer les conditions pour qu’il puisse repartir avec ou sans Gervais. Ce défi m’a passionné, c’était un moment clé de l’histoire du club et c’est l’un des dossiers dont je suis le plus fier.

Je me souviens de la suite des événements où il fallait aussi convaincre le Crédit Agricole, et ses sociétaires, de faire des efforts. Puis il a fallu rencontrer l’ensemble des politiques concernant la rénovation de Bollaert. Le fait d’être une personne extérieure a facilité les choses, car je n’avais pas d’intérêts avec des missions claires et déclarées. Je n’étais pas là pour m’approprier une fonction de président ni une richesse.

Avec beaucoup d’engagements, c’est une mission réussie, le club a été sauvé et les travaux de Bollaert ont pu être votés, ce qui était indispensable.


Thomas Deseur : Dans votre CV, vous êtes vu comme un « sauveur de clubs », mais qu’est-ce qui change entre faire cette mission à Lens et dans un autre club ?

Luc Dayan : Il y a des clubs comparables dans lesquels je me suis senti bien et où je me suis senti à l’aise au moment je suis arrivé, que ce soit avec les salariés, l’environnement ou l’histoire. On peut prendre comme exemple Nantes, où j’ai été extrêmement à l’aise très vite, avec un dossier compliqué et qui a été géré dans l’urgence. C’est un endroit où je me suis fait des amis et où j’ai gardé des relations avec certains salariés.

A contrario, il y a des clubs où vous avez moins cette charge émotionnelle comme par exemple Nice, qui est un club que j’ai également sauvé.

Ici, le fait d’avoir été à Lille et de connaître l’histoire de Lens, les joueurs et l’environnement m’a beaucoup facilité les choses quand même. Le Nord, où j’ai vécu pas mal de temps et avec ses différences entre Valenciennes, Lille et Lens, dispose des mêmes personnalités politiques. Si je prends l’exemple de Daniel Percheron, que je n’ai pas connu quand j’étais à Lille, mais qui a entendu tout le travail effectué à l’époque, ça crée des climats de confiance. D’ailleurs, Michel Faroux (Directeur Général Adjoint du Crédit Agricole de 2008 à 2016) me l’a dit : « Si on t’a choisi, c’est pour le travail effectué à Lille ». Ça prouve que les gens avaient gardé la trace de qui avait été fait, même à la suite des décisions impopulaires que j’avais prises, mais qui ont sauvé le club. Par exemple, l’argent de la Ligue Des Champions qui avait servi à construire le centre de formation et c’est ça qui a servi de base au LOSC que l’on connaît aujourd’hui.

Comme j’ai pu le dire, j’aime les clubs et ce qui me rend dingue, ce sont les présidents qui sont prêts à faire exploser les clubs en les mettant dans des situations intenables et qui quand ils explosent, descendent de 5 divisions comme ça a pu être le cas pour Bastia ou Strasbourg, c’est une catastrophe.

Gregory Lallemand : Vous parliez de décisions impopulaires, mais il y en a une qui reste dans l’esprit des supporters du Racing Club de Lens. Il s’agit la fermeture de la tribune Trannin, pouvez-vous nous rappeler ce moment ?

Luc Dayan : Il faut se rappeler qu’il y avait eu un Directeur Général nommé avant moi par le Crédit Agricole et qui s’appelait Gérard Levêque. Au moment où je suis arrivé il avait déjà préparé un certain nombre de décisions et parmi ces décisions il y avait celle-là pour laquelle j’aurais pu aller contre. Le problème est qu’il y a une notion d’équilibre et de paix sociale qu’il faut que je fasse, et pour ne rien vous cacher, la fin avec Gérard Levêque s’est très mal passée avec un vrai clash. Ce qu’il faut savoir c’est qu’il y a eu des moments où j’ai cédé et d’autres où je n’ai pas cédé, mais sur cette décision là le choix a été porté comme ça et on ne peut pas revenir dessus.


Gregory Lallemand : Une autre décision beaucoup plus populaire, cette fois, où l’on vous a vu vous battre contre France Télévision concernant le quart de finale contre Bordeaux pour que le match ait lieu plus tard…

Luc Dayan : Il s’agit d’un moment festif où nous avions vraiment envie de retrouver Bollaert plein. C’était le seul moment de la saison où c’était possible. Il aura vraiment fallu que je me batte en appelant Noël Le Graet, par exemple.

Gregory Lallemand : Finalement, vous avez réussi, mais le match n’avait pas été retransmis par France 3 alors qu’il était tout simplement extraordinaire avec une magnifique ambiance, mais est-ce à dire, que dans le monde d’après que nous sommes en train de vivre, le tout droit télé doit prendre en compte l’ensemble de l’environnement et pas seulement l’idée de faire plaisir aux télés afin de réfléchir à des horaires adaptés ?

Luc Dayan : Effectivement, le football doit se repenser et il y a beaucoup de choses à faire. Je pense notamment à la propriété des clubs, les formules de compétitions, le rapport à la télévision, d’autant plus que le rapport au football, pour les jeunes générations, n’est pas le même que moi j’ai pu avoir. On ne vit pas de la même manière : la façon d’aller au stade, de consommer, d’aimer et de comprendre le football… Il faut vraiment que l’on se repose des questions fondamentales et notamment devant ce genre de décisions. Le problème est aussi que les chaines ont diffusé du football partout et qu’on en est arrivé à une indigestion.

Entre la COVID et le problème des droits TV, on devrait se dire que ça vaut le coup de reposer tout ça.

Samuel Duhamel : Vous avez publié une tribune dans le journal Le Monde (« Il est temps de définir pour le football français un modèle combinant “sport spectacle” et exemplarité sociale », 10 janvier 2021), dans lequel vous évoquez les nombreux investisseurs dans le monde du football, comment sondez-vous Joseph Oughourlian dans cette époque nous traversons ?

Luc Dayan : Sans cette année particulière, le concours financier de Joseph Oughourlian n’aurait pas été le même. Il est très investi dans l’environnement globale face à cette période, mais dans le même temps il découvre le système français comme beaucoup. Je lui ai dit que l’acquisition de Médiapro n’était pas réaliste par rapport au marché tel qu’il est, mais il avait un peu de mal à entendre ce que je lui disais d’autant plus qu’il connaît les acteurs de Médiapro. Mais j’ai connu l’époque Canal avant l’avènement de TPS puis sa disparition, en passant par Orange et BeIn Sports. Malheureusement, de puis 20 ans on a oublié ce qui faisait générer des abonnements à Canal +, à savoir faire partager une émotion, un plaisir et on s’abonnait pour voir quelque chose qu’on ne voyait pas ailleurs et qu’on partageait. Le problème est que nous sommes passés dans un univers de spéculation où tout à coup on s’aperçoit qu’on est tombé dans un système où tout n’a fait que monter : les salaires, les transferts, les droits TV…

Pour en revenir à Joseph Oughourlian, il assume pleinement son actionnariat, car quand il n’y a pas de recettes mais qu’il faut payer les charges courantes il faut mettre de l’argent au pot, c’est-à-dire son propre argent qui vient de son compte personnel.

Lens dispose d’une politique salariale maitrisée, ça devrait donc être un club profitable, c’est-à-dire que le club doit disposer de réserves pour passer la nouvelle étape et ainsi viser la 5ème ou 8ème place.

Mais soyons honnête, en ce moment la position d’actionnaire n’est vraiment pas facile.

Joseph Oughourlian et Arnaud Pouille (crédit photo : La Voix du Nord)

Amaury Demonchaux : Face à l’actualité du moment avec des recettes inexistantes et des droits TV incertains, quelles sont les solutions ?

Luc Dayan : Une refonte complète du système. Il faut faire partager une vision de la gestion et de l’économie du football par l’ensemble des acteurs concernés afin de se dire « Que souhaitons-nous pour le football en France ? ». Ce qu’il faut dire c’est qu’à un moment dans la journée, ces acteurs ont des intérêts convergents, mais à d’autres moments ils se mettent dans une position ultra-concurrentielle et c’est donc compliqué de faire raisonner tout le monde. En effet, certains voient dans la faiblesse des uns, une opportunité pour eux. Si on ne repense pas rapidement les choses, des clubs seront en faillites, ce risque est réel.

Il faut donner des perspectives à 4-5 ans au club pour annihiler tout risque systémique.

Amaury Demonchaux : Mais ceci n’induit-il pas de réduire le nombre de clubs en L1 pour un meilleur partage du gâteau ?

Luc Dayan : Je ne pense pas, bien au contraire, je milite pour 48 clubs pro en France avec un championnat en 2 phases. Il faut créer les conditions de la performance, pas sur 12 ou 15 clubs, mais sur 48 clubs professionnels pour redonner de la place à la régionalisation par les centres de formation.

Gregory Lallemand : En 3 ans, les clubs français ont dépensé 346 millions d’euros en commissions d’agents, faut-il un salary cap et y-a-t-il un problème à ce niveau ?

Luc Dayan : Quand vous avez besoin de faire rentrer de l’argent et donc vendre vos joueurs, car vous n’avez pas de réserves. Quand un agent vous demande une commission de 1 millions d’euros et que vous vendez votre joueur 7 millions au lieu des 15 initialement prévus dans votre budget prévisionnel, et bien ce million vous lui devrez toujours. Les agents sont ceux qui font la loi et la régulation du marché. Ceci est pour moi inadmissible, mais dans le même temps ça fait aujourd’hui parti du système, surtout pour les dirigeants s’étant rendus dépendants de ce système de revente là.

Il faudrait donc bâtir un système semblable à celui créé par les américains avec la MLS ou la NBA qui protège les propriétaires contre leurs propres dérives inflationnistes avec le salary cap, le contrôle des capitaux entrants…

Questions auditeurs :
Maxime Lombard : Quelle est votre avis sur la nouvelle politique lensoise ?

Luc Dayan : Tout d’abord, j’ai la chance de connaître Joseph Oughourlian et c’est quelqu’un que j’apprécie humainement.

L’année dernière nous avons produits, avec des amis, une série de documentaire sur le Racing Club de Lens pour comprendre comment fonctionnait le club de l’intérieur. J’ai toujours pensé que ce que l’on voit sur le terrain est le reflet de l’environnement du club.

Cet actionnariat et cette équipe sont d’une grande qualité, car on peut s’apercevoir que le club n’a rien perdu de ses valeurs sans Gervais et les anciens. Ce qui veut dire que ce qui a été déclaré est fait. Les relations avec l’ensemble des parties prenantes doivent être de qualité pour voir ce que l’on voit aujourd’hui sur le terrain, ce n’est pas un hasard.

Priscilla : Peut-on espérer voir une saison 2 au documentaire « De Sang et d’Or » ?

Luc Dayan : Nous aurions bien aimé, mais on n’a pas réussi à trouver l’argent suffisant sachant que sur la saison 1 nous avions déjà perdu de l’argent. En revanche, nous produisons des documentaires unitaires sur l’équipe féminine que nous avons réussi à vendre à Canal.

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Retranscription | L’équipe Culture Sang et Or

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