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Jimmy Adjovi-Boco : “Le sport, c’est un véritable couteau-suisse”

L’ancien joueur du Racing Club de Lens et actuel conseiller du ministre des sports du Bénin a répondu à nos questions.


Bonjour Jimmy, est-ce que tu peux nous parler de ton actualité ?
« Actuellement je suis conseiller du ministre des sports du Bénin. J’accompagne l’État béninois et notamment le ministère des sports dans le développement de sa politique sportive qui est extrêmement riche. Au Bénin, nous avons un chef d’Etat qui a une vision et une stratégie pour le sport qui est assez exceptionnelle. Le ministre des sports, ainsi que le gouvernement, ont mis en place plusieurs projets autour du développement du sport ; que ce soit le sport scolaire, avec des compétitions accompagnées par l’Agence Française de Développement, mais aussi la FIFA. Mais également la construction de 22 stades, des infrastructures assez incroyables, c’est la première fois que cela arrive sur le continent africain d’avoir une politique de développement d’infrastructures de ce type avec autant d’ambition. Nous avons aussi la réforme du sport professionnel. Tous ces points constituent une politique, une stratégie, qui est impressionnante et en tout point pertinente. »

On va faire un petit retour en arrière, et parler de tes débuts en tant que sportif. Car le football n’a pas été ton premier amour.
« Je suis arrivé à l’âge de deux ans. J’ai grandi dans l’Oise, à côté de Chantilly. Avant de jouer au football, j’ai pratiqué l’athlétisme (ndlr : à haut niveau). Je viens d’une famille d’athlètes. J’ai six sœurs et un frère, et on a tous fait de l’athlétisme à un très bon niveau. C’est seulement après que je me suis mis sérieusement au football, après avoir fait des études dans l’aéronautique, et avoir travaillé pour Air France comme électricien sur instruments de bord et radio. Je jouais en troisième division à Creil, et c’est à ce moment-là que Amiens SC, qui montait en seconde division, m’a sollicité pour un contrat semi-professionnel. Je travaillais la moitié du temps à la mairie d’Amiens, et l’autre moitié du temps je m’entrainais. »

Et ensuite tu as fait plusieurs clubs de L2, le FC Rouen et le Tours FC… Comment s’est faite ta rencontre avec le RC Lens ?
« En fait, j’avais connu Arnaud Dos Santos quand j’étais à Rouen. Quand le club a été repêché de L2 suite à la rétrogradation administrative de Bordeaux, Arnaud, qui cherchait à renforcer son équipe juste avant la reprise du championnat, et on parle d’une quinzaine de jours, m’a proposé de venir pour compléter l’effectif. J’ai d’abord signé pour un an, puis j’ai prolongé pour deux ans, avant un dernier bail de trois ans. Ce qui a fait que je suis resté six ans au RC Lens. »


Tu es parti à l’été 1997, juste avant la saison du titre. Est-ce que, dans tes souvenirs, tu avais pu percevoir des indices sur l’incroyable saga de la fin du dernier millénaire ?
« Il y avait la construction du club dans les années 1990, avec Gervais, Jean-Luc Lamarche, et tout le comité exécutif du club. Tout le monde travaillait bien. Mais de là à dire que l’on pouvait présager de cette victoire en championnat ? Non. Car en plus on sortait d’une saison difficile. Il faut se souvenir que Roger Lemerre et Daniel Leclercq étaient arrivés en février ou en mars pour remplacer Slavo Muslin qui était en danger. Donc de là à dire qu’à ce moment on pensait à ce résultat… non (rires). Par contre, les bases étaient jetées pour la construction d’un club, parce que il y avait un travail de fond de fait par les dirigeants qui ont mené à terme le club au sommet. Déjà, faire confiance à Daniel, c’était quelque chose d’important. Ça a été le déclic. Il faut reconnaître qu’il y avait la qualité des joueurs, mais le titre est en grande partie dûe au travail qu’a pu faire Daniel Leclercq cette année-là. « 

Le rôle d’un entraîneur c’est de faire l’alchimie dans son groupe et de tirer le meilleur de ses joueurs. Ce que tu veux dire, c’est qu’il y avait tout pour, dans un contexte normal, finir dans le haut du tableau, et le facteur x qu’était Daniel Leclercq, de par ses qualités humaines et son expertise technique, a permi au RC Lens de remporter les deux seuls titres de son histoire ?
« Oui, le travail avait été fait, et la présence de Daniel, le recrutement de ces joueurs qui ont amené un supplément d’âme, ont fait la différence. C’est un tout. »

Après tes six saisons au RC Lens, tu es parti à Edimbourg pour jouer pour les Hibernians. Souvent, quand on parle de footballeur français et Hibernians, on pense à Franck Sauzée. Mais en fait, c’était toi le pionnier !
« Tout à fait, je faisais partie des premiers avec Stéphane Adam, qui était attaquant, et Gilles Rousset, gardien de but. Les deux jouaient pour Hearts of Midlothian, l’autre club d’Edimbourg. Avant que d’autres joueurs nous rejoignent par la suite. »


Franck Sauzée a dit récemment que finir sa carrière en Ecosse, c’était un peu s’autoriser une sortie en beauté d’un point de vue footballistique. Quels sont les souvenirs qui te restent en tête après ce passage aux Hibernians, qui est, faut-il le rappeler, le premier club de la communauté irlandaise d’Ecosse, avant le Celtic ?
« Je garde un souvenir impérissable de ce passage en Ecosse. Les Ecossais sont des gens extrêmement chaleureux, accueillants, passionnés, des vrais ! Là-bas, le football est celui que j’aime, sans calcul ! Oui, ça ne calcule pas, jamais. Ça joue ! Sur les challenges, les duels, c’est le plus fort qui s’en sort. Les Ecossais sont des gens qui aiment vraiment le football, et c’est vrai qu’une année là-bas, en dehors de l’aspect footballistique, m’a permis de vivre des moments extraordinaires de partage et d’échanges avec les supporters. Un peu comme ce que j’ai vécu à Lens. Sauf que là-bas je n’ai passé qu’une saison et pourtant j’ai eu l’impression d’y passer presque toute ma carrière. Quand j’y retourne, je suis toujours ovationné, alors que l’année où j’y étais, on a fait une saison catastrophique, avec 18 matchs sans victoire et une descente. Mais les supporters, à chaque fois qu’on entrait sur le terrain, nous portaient, nous encourageaient, sans jamais calculer ! C’est un pays magnifique, je n’ai que des superlatifs pour ce pays et ce football. »

Tu m’avais dressé un vrai parallèle entre cette ambiance écossaise et la passion autour du RC Lens. Sauf que là-bas ils parlent anglais en roulant les R (rires). Suite à ta carrière sportive, tu as tout de suite rejoint SKEMA Business School (anciennement ESC Lille) pour assurer ta reconversion.
« Tout à fait. J’avais repris les études pour avoir les outils pour mettre en place cet ambitieux projet de structure de formation de jeunes footballeurs qu’est Diambars. C’était vraiment dans l’objectif de mettre en place ce projet. J’ai d’abord fait l’IAE de Lille, avant de rentrer à SKEMA. »

Connaissant ton parcours, tes débuts dans l’athlétisme, le fait que tu aies travaillé dans l’aéronautique, pour toi le souci de la reconversion et l’à-côté du football semble essentiel, et j’imagine que ce sont des valeurs qui se transposent dans le projet Diambars, que tu as créé avec Patrick Vieira, Bernard Lama et M. Seck.
« Dans les années 1990, on voyait beaucoup de jeunes joueurs exploités entre le continent africain et l’Europe, avec des pratiques douteuses de certains agents et clubs. Avec Bernard Lama, et Saer Seck, que je connaissais depuis de nombreuses années, puis Patrick Vieira qui nous a rejoint, on a voulu combattre ces trafics et ces mauvaises pratiques. Et pour cela, il fallait mettre en place les infrastructures pour permettre aux jeunes de pouvoir être formés et éduqués comme ils le seraient s’ils étaient en France. Pour nous, c’était vraiment important de mettre en place ce type d’infrastructures, avec la réussite que l’on connaît aujourd’hui. »

Tu me parlais de ce jeune étudiant, Ali, qui vient d’être diplômé en France…
« Oui, Ali était un Talibé. Les Talibés sont des enfants sénégalais qui sont confiés à des chefs religieux qui s’occupent de leur éducation. Le matin, ils sont dans la rue pour mendier, et l’après-midi, ils apprennent le Coran. Diambars est ouvert à tous ces enfants, qu’ils soient Talibé ou non. Tous ces jeunes qui ont des qualités de footballeur peuvent entrer à l’Institut. Et effectivement nous sommes fiers de ce jeune Talibé, Ali, qui est entré à Diambars à l’âge de 13 ans, sans savoir lire ni écrire, et qui est aujourd’hui, vingt ans après, diplômé d’une école d’ingénieur informatique ici en France.


Notre objectif chez Diambars n’est pas que ces jeunes réussissent à tout prix dans le football, cette issue ne représente que 10% d’entre eux. Si notre objectif n’était que de pourvoir les clubs européens, ça sous-entendrait que notre objectif ne serait rempli qu’à 10%. Notre objectif, c’est d’aider les 90% restants afin qu’ils réussissent également leur vie. Tous les jeunes qui rentrent chez nous rêvent de devenir footballeur professionnel, et on utilise cette envie pour les pousser dans tous les domaines. Et le bon comportement est une condition sine qua none pour rester chez Diambars.

C’est arrivé que l’on se sépare d’un jeune joueur, qui aurait pu être exceptionnel footballistiquement parlant, parce que justement il ne travaillait pas à l’école, il foutait le bazar et ne se comportait pas comme on le voulait. Pour nous, ce sont des valeurs non négociables. Un de nos partenaires, c’est l’UNESCO. Et notre objectif, c’est l’éducation. »


Comment est-ce que tu vois l’évolution du football africain dans la société de l’Afrique Sahélienne et Sub-saharienne ? La zone du Sahel est une des zones les plus conflictuelles du monde aujourd’hui. Dans cette approche très macro, systémique, quel rôle donnes-tu au ballon rond ?
« Le sport en général, et le football en particulier, sont des leviers extraordinaires pour le développement du continent africain. Et je le vois actuellement avec le Bénin. Je compare souvent le football professionnel à un processus industriel. On a d’un côté les talents, et de l’autre côté les clients finaux, qui sont les passionnés. Le problème c’est qu’on ne sait pas, ici en Afrique, produire une industrie du spectacle sur place. Si on prend cette chaîne de valeur, on s’aperçoit qu’à chaque étape, on a des milliers voire des dizaines de milliers d’emplois à créer. Qui plus est dans un secteur d’activité qui plaît à la jeunesse. Et on connaît les problèmes démographiques du continent africain, avec une population qui explose, ce qui est à la fois une opportunité mais aussi une menace si on ne trouve pas de travail pour la population.

Notre programme Stade Sup chez Diambars permet de présenter aux jeunes tous les métiers autour du stade, du sport. Et de les former. Cela permet de mettre le doigt sur ces dizaines de milliers d’emplois que crée l’industrie du sport. Si on arrive à développer ces différents métiers, et à créer une chaîne de valeur, on met en place un écosystème autour du sport qui est générateur de revenus et d’emplois pour le pays. On a tout à gagner à développer ce secteur d’activité incroyable qu’est le sport.

On sait où se développent ces poches de terrorisme ; sur le terreau du manque d’emplois et de formation. Qui plus est, le football est un sport fédérateur. Lors de la Coupe du Monde 1990 en Italie, le parcours des Lions Indomptables a permis de calmer le pays, en proie à des conflits internes (ndlr : toujours très présents). On l’a également vu avec la Côte d’Ivoire. Le football a réussi à réunir les populations du Nord et du Sud (ndlr : le Nord est majoritairement musulman quand le Sud est chrétien). »

Le sport peut être une formidable dynamique pour son développement économique et son aspect fédérateur au niveau national.
« Le sport est un véritable couteau-suisse. Il permet de parler d’éducation, de santé, de vie en communauté, du vivre ensemble, de réussite, de fierté nationale. Il n’y a pas un autre domaine qui peut apporter autant de choses que le sport. Le foot, et d’ailleurs pas qu’en Afrique, permet aux pays de se fédérer. La question, c’est que faire de ces mouvements fédérateurs ? Le sport n’est qu’un outil. Si on ne sait pas l’utiliser, cela devient un secteur d’activité comme un autre. »

Est-ce que tu peux également nous parler de ce que tu as fait quand tu étais membre du “Conseil Présidentiel pour l’Afrique” du Gouvernement Macron ?
« Ce n’est plus d’actualité car j’ai démissionné. Mais là aussi, cela prouve l’intérêt qu’a pu donner le chef de l’Etat (ndlr : Macron) au sport. Dans la relation avec le continent africain, il a estimé que le sport pouvait être un outil pour améliorer cette relation. Lors de la visite de Georges Weah, le chef de l’Etat a organisé une réunion que je lui avais suggérée, pour mettre autour de la table les mondes politique, économique et sportif. Emmanuel Macron a fait venir, lors de la visite de Georges Weah, le président de la FIFA, le président de la CAF, un des présidents de la Banque Mondiale, le DG de l’Agence Française de Développement, des chefs d’entreprise, Didier Drogba, Kylian Mbappé, des joueurs de basket. Il en est ressorti la décision de mettre en place la plateforme “Sport en Commun” qui répond à des besoins pratiques afin d’aider ceux qui ont un projet de pouvoir le mener de la manière la plus efficace possible. Elle se doit d’être une sorte de catalyseur pour que des dizaines de Diambars émergent à travers l’Afrique. »


Pour conclure, et pour boucler la boucle, je me dois de te poser la question. Est-ce que tu pourrais à l’avenir travailler avec le RC Lens via Diambars ?
« Ce n’est pas impossible. Peut-être pas avec Diambars car nous avons signé avec l’OM. Mais il y a des choses qui sont en train de se mettre en place dans pas mal de pays africains avec lesquels je travaille, et mettre en place des synergies entre la France et l’Afrique, c’est pour moi un objectif. Dans cette perspective, cela peut avoir du sens. »

Je crois savoir que des émissaires du club se rendent régulièrement en Afrique afin de dénicher des pépites pour les post-former, comme cela a pu être fait avec Cheick Doucouré. Cela pourrait être une idée de collaboration ?
« Ce n’est pas impossible. »

Merci à Jimmy Adjovi-Boco pour sa grande disponibilité et son immense gentillesse.

Ecrit par Antoine 

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