CULTURE SANG & OR

Itinéraires de Grands-Chelemeurs – Alex & Erwin

On n’a pas encore bouclé l’article bilan de la saison que l’on peut l’affirmer sans détour aucun : la saison 2021-2022 est une réussite. Les hommes de Haise ont su renouveler leurs performances de la saison passée, dévêtus de leur habit de promu surprise. Dans les tribunes, la situation sanitaire est presque revenue à la normale. Presque, parce que les restrictions administratives, elles, sont encore beaucoup trop nombreuses. Et elles le seront toujours, tant qu’elles existeront. Aujourd’hui, CSO rend hommage à deux supporters lensois qui auront bravé toutes les embûches pour réaliser un projet qu’ils s’étaient juré de mener à son terme. Le Grand Chelem des déplacements. A coup de réveils paniqués, de ruses, d’embrouilles, de négociations et parfois d’opportunisme. On a échangé avec Erwin et Alexandre, porte-voix de centaines de silencieux qui, tous les quinze jours, bravent les kilomètres ainsi que les interdits administratifs. Par amour du Racing club de Lens.

Samedi 14 mai, début d’après-midi. Alexandre répond par DM. “Je marche comme un canard”. Son message, il l’a écrit en ayant mal aux fesses, sûrement. Mais non sans grande fierté. Avec sept collègues UTC (Ultras Tigers Capitale), il vient de rejoindre Troyes depuis Paris, à vélo. 170 kilomètres, en deux jours. Armés de fumigènes, leur arrivée se fait dans la douleur : “Nous avons fait une escale dans un petit village après 100 kilomètres. Gros barbecue, et soirée jusqu’à tard dans la nuit. Puis on a terminé les 70 kilomètres restants le jour du match. Nous sommes d’autant plus fiers que nous ne sommes pas forcément des grands sportifs. Mais nous étions tellement motivés”. Motivés, et déterminés. “On cherche déjà un autre défi pour la saison prochaine”, ajoute-t-il. Et on connaît leurs limites, puisqu’elles n’existent pas.

Erwin a également réussi l’exploit de participer à tous les déplacements de la saison. Et a forcément croisé la route d’Alexandre. Il introduit : “Je pars seul à Bordeaux, je n’ai pas de place en parcage mais en contre parcage. En marchant dans Bordeaux, j’entends du bruit et pense à ce moment être proche d’un cortège des Ultras Marines. En me dirigeant vers le bruit, je me rends compte qu’en fait… c’est nous. Une fois sorti du tram, je tombe sur Alexandre qui me déniche une place en parcage dans la foulée”. 

Les anecdotes fusent. Erwin aurait d’ailleurs pu manquer le Grand Chelem d’un rien. Comme quoi, comme sur le terrain, tout ne tient qu’à un fil. “Je dois prendre le train très tôt pour aller sur Lyon dans la matinée et rejoindre un pote sur place. La veille, je sors chez une copine pour boire un coup. Au final, je pars de la soirée vers 5h du matin, et n’arrive chez moi qu’à 5h30. Je me dis que dormir est trop dangereux. Il ne  faut surtout pas que je rate le train. Je me mets devant YouTube. Mauvaise idée : je m’endors. Je me réveille par miracle à 6h30, et pars en courant en oubliant la moitié de mes affaires. J’arrive in extremis à choper le train !”.

Les UTC en VTC

On vous le dit, Lens est une fête. Et Alexandre en a profité pour fêter son anniversaire en parcage. C’était à Bordeaux, quand Sotoca lui a offert les trois points dans le money time. “Nous étions 17 : la moitié de lensois et l’autre de potes parisiens. On a gagné 3-2 à la dernière seconde, avec un des meilleurs parcages de la saison. Mes potes parisiens ont kiffé participer à l’ambiance, et ça, ça fait plaisir !

Pour Erwin “Strasbourg est le meilleur dép de la saison !”. Continue : “Incontestablement. Déjà, on est mi-avril. Et il neige. Mais il neige FORT. On tourne dans la ville, puis on rencontre des lensois dans un bar. C’est là que la soirée a commencé”. Comment s’est-elle terminée ? “Vers 2h du mat, sans batterie, sans GPS donc, avec au moins deux grammes dans le sang, j’ai envie de me fumer un joint. Je m’éloigne un peu de la terrasse du bar. J’ai envie de marcher et forcément je me perds dans Strasbourg. Sans me souvenir du nom du bar d’où je venais, donc impossible de demander de l’aide aux rares passants que je croise à cette heure tardive de la soirée”. Cerise sur le gâteau : “Et évidemment, c’est moi qui avais les clefs de l’hôtel où nous dormions”. 

Lors du déplacement à Paris, Alexandre et ses potes étaient VIP, ayant réussi à infiltrer les loges du Parc. “On était interdits”, raconte-t-il, “donc je prends ma place en latérale. Un pote qui a des places en loge nous propose avec deux potes de venir avec lui… difficile de refuser”. La suite est connue, “égalisation à 10 contre 11, champagne et whisky jusqu’à minuit, et même rencontre avec quatre autres lensois dans la loge. C’était incroyable, même si ça ne vaudra jamais une place à dix balles en parcage ! ”.

On y vient. A cette incapacité de l’État français à organiser des déplacements de supporters, empiétant allègrement sur les plates bandes de la liberté. Mais pas de quoi arrêter Alexandre et ses potes. En 2018, il avait pris une IAS d’un an pour avoir été en déplacement à Metz, ne respectant pas l’interdiction de déplacement décrétée à l’époque. “Elle a été annulée au TA (tribunal administratif) un an et demi plus tard, alors que ma peine était déjà purgée. J’aurais vraiment eu l’air c** si je m’étais fait attraper une seconde fois au même endroit”

« On marche sur la tête »

Alexandre abonde en nous parlant de son déplacement à Nice : “On loue notre J9, comme d’habitude. Puis le préfet nous sort un arrêté quelques jours avant le match, seuls les bus sont autorisés. Toutes les principales sections décident de boycotter le dep. Nous, on essaie de faire un bus avec des indép, mais le chef de la sécurité refuse de nous filer des places si l’on ne réserve pas auprès d’une section. Les bus des sections du sud sont déjà tous complets, ça commence à puer pour nous et on est proches d’abandonner. Par miracle, un ancien de notre groupe, qui habite maintenant à Istres, convainc son président de faire un second bus rien que pour nous. On descend donc en J9 à Nice, puis on monte à seulement 25 dans le bus pour faire l’escorte jusqu’au stade. On marche sur la tête !”.

Lors de ce même déplacement niçois, Erwin et ses collègues ont eu un coup de stress: “On arrive en voiture, et on nous indique d’aller au parking P4 ou P6. On suit le chemin que les locaux nous indiquent, mais il est… chelou. On est à trois dans la caisse, et mon pote à l’arrière me demande si on est sûrs du coup. A ce moment-là, on voit une carcasse de voiture brûlée. On se dit que ça craint quoi. On continue d’avancer, et on se rend compte qu’aucune voiture n’est aux couleurs niçoises, d’autres sont carrément désossées, brûlées, etc… Quand on décide de sortir, on tombe sur la grille du parking, et elle est… fermée. Légère panique je t’avoue ! Mais finalement, on a réussi à sortir, et à trouver le vrai parking”

« Je me dis que jamais je n’aurai la mienne. Alors je ruse. »

Un déplacement, qui plus est en groupe, peut s’avérer chaud. Et ce dans n’importe quelle ville. Alexandre et ses potes UTC en ont été témoins à Clermont-Ferrand : « C’était un mercredi soir, en semaine. Notre J9 s’arrête dans un PMU en bas d’une cité. Très vite, les jeunes du quartier nous font comprendre que nous ne sommes pas les bienvenus ». Et que s’est-il passé ? « On était une vingtaine, on s’était dit que ça allait bien se passer. Au moment de partir, on se rend compte qu’ils avaient appelé du renfort. Et là, ça a commencé à se taper dessus, ils sortent les gazeuses, on tient comme on peut jusqu’à ce que tout le monde puisse monter dans le J9 et on démarre en trombe. On se serait cru dans un film avec le mec qui monte à l’arrache au dernier moment ».

Retour de Montpellier, Erwin est fatigué et le barista du bar l’empêche de dormir avec ses annonces promotionnelles.

Erwin termine en nous racontant une histoire assez folle en forme de happy end. Déplacement à Saint-Étienne. “Le retour des jauges Covid a failli ruiner mon Grand Chelem » dit-il, lui qui a déjà failli manquer le Groupama pour cause de panne de réveil. La saison était déjà bien entamée, et puis Geoffroy Guichard, c’est un déplacement que tu coches, que tu sois chelemeur ou pas”. Et donc ? “Jauge à 5,000 places. Je me dis que jamais je n’aurai la mienne. Alors je ruse. Je vais sur LinkedIn, et je trouve un mec de la comm de l’ASSE, et lui envoie un message pour lui expliquer le projet. Le mec très cool me laisse carrément sa place salarié”. Il continue : “On s’était d’ailleurs organisés entre chelemeurs pour se trouver des places coûte que coûte. Entre nous, il existe même une vraie solidarité. Finalement, le jour du match, de nombreuses places étaient à la vente sur le site.” Un déblocage de situation qui a également permis à Alexandre d’assister à ce match en dernière minute, à l’image du but victorieux de Seko Fofana dans les arrêts de jeu.

Un immense merci à Alexandre (@AleexJude) et Erwin (@R20dbt) pour leurs réponses. Et un tout aussi immense respect à Jojo, Jeff des Wolf, Maxime, et tous les autres grands-chelemeurs de l’ombre.

Retranscrit par Antoine

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