À la fin des années 1990, le slogan de la NBA (National Basketball Association) « I love this game » résonne dans le monde entier. La beauté et l’amour du jeu transpirent des spots publicitaires qui mettent en avant les plus belles actions sur les parquets américains. La passion est l’un des premiers mots qui nous viennent à l’esprit lorsque l’on évoque le RC Lens. Mais ce n’est pas le seul parallèle entre le basketball et le club du bassin minier.
Block party
Dimanche dernier, le RC Lens a prolongé sa belle série en Ligue 1 en arrachant la victoire (1-0) dans les derniers instants du match face à l’Olympique de Marseille. La décision s’est faite lors d’un corner, sur un but de la tête de Jonathan Gradit, dit « la Perceuse ». Sur cette action, Salis Abdul Samed avance d’abord vers le premier poteau, avant de stopper sa course. Ce déplacement peut à première vue sembler contre-productif. En réalité, le milieu ghanéen réalise un « block », ou « écran » passif, et crée de l’espace pour son coéquipier.
On voit ci-dessus qu’il est, avec Pierre-Emerick Aubameyang, sur la trajectoire du buteur lensois du jour et du défenseur marseillais Leonardo Balerdi. En retard dès le départ, ce dernier se retrouve avec la jambe bloquée par son coéquipier lorsqu’il essaye d’intervenir. Salis Abdul Samed l’a ainsi empêcher de gêner « la Perceuse » et a libéré par la même occasion le stade Félix Bollaert-Delelis. Cette séquence peut-être assimilée à l’un des mouvements de base du basketball.
L’excellent site spécialisé « trashtalk » le résume ici. Le « block » ou « écran » consiste à mettre son corps en opposition au défenseur adverse pour dégager le coéquipier de son marquage. Cette arme est désormais régulièrement utilisée dans le football moderne. La grande différence réside dans les règles. L’écran volontaire est autorisé et fait partie du jeu au basket, alors qu’au football, en principe, non. Il est nécessaire d’être plus subtil, sous peine de se voir sanctionner d’une faute par l’arbitre.
Ce type d’actions connaît un coup de projecteur lors de la Coupe du monde 2018. À l’époque, Gary Southgate est à la tête d’une équipe d’Angleterre qui vient de passer huit années sans inscrire le moindre but sur corner ou coup franc. Le bilan est éloquent : 72 coups de pieds arrêtés frappés en position favorable, pour zéro but. Mais lors du Mondial en Russie, les Three Lions deviennent soudain redoutables dans ce domaine. Ils inscrivent sept de leurs neufs buts sur phases arrêtées.
Le football anglais est depuis connu pour être en avance dans ce domaine. Cela aurait pu coûter cher aux Lensois lors de la réception d’Arsenal. Alors que le score est d’un but partout, Brice Samba sort une parade énorme afin d’empêcher les Gunners de prendre l’avantage. On assiste alors au tournant du match, mais c’est uniquement grâce au réflexe du gardien sang et or, que les défenseurs ont laissé seul face à Takehiro Tomyasu. Lors d’une action similaire au but lensois face à l’OM, le Japonais a toute la liberté de reprendre le ballon en pleine surface. Grâce à une course croisée d’un coéquipier, il s’était complètement libéré du marquage de… Jonathan Gradit.
Jeu en triangle et football total
Les ponts entre les deux sports ne se limitent pas aux phases arrêtées. Parlons du jeu en triangle.
Entre 1989 et 2002, l’entraîneur Phil Jackson devient une légende du basket. Il remporte sur cette période neuf titres de champion NBA sur douze possibles. Son bilan en carrière s’approche des 70% de victoires en près de 2.000 matchs. Certes, il dirige des équipes sublimées par Michael Jordan (Chicago Bulls) ou Kobe Bryant (Los Angeles Lakers). Mais le succès du « Zen Master » ne tient pas uniquement au talent des stars qu’il a coachées.
La clé de sa réussite, il la doit au jeu en triangle. Ce système est théorisé dans les années 1940 par le coach universitaire Sam Barry. Son originalité réside dans le fait que les joueurs n’ont pas de position tactique fixe sur le terrain. Pour qu’il soit efficace, le plan de jeu doit être exécuté par des profils polyvalents, et des joueurs dotés d’un QI basket supérieur à la moyenne. Ces qualités sont essentielles afin d’occuper les bonnes positions sur le terrain et de créer un mouvement constant. C’est ce dernier qui va permettre de déséquilibrer l’adversaire et de marquer.
Le système offre plusieurs solutions au porteur du ballon. On voit ci-dessus que selon l’endroit où se trouve la balle, plusieurs triangles peuvent se former. Cela crée de l’incertitude dans l’esprit des défenseurs. Ainsi, les attaquants bénéficient d’une liberté d’expression totale dans un cadre défini.
Si la NBA de l’époque et le RC Lens des quatre dernières années semblent ne rien avoir en commun, on observe pourtant des similitudes entre ce système et les discours de Franck Haise lorsqu’il décline ses principes de jeu.
En février 2022, le collectif Coparena publie une analyse tactique complète du RC Lens. Très vite, les consultants soulignent la polyvalence des joueurs. On observe des séquences avec de nombreuses permutations. On constate aussi que les postes ne sont pas fixes. Ainsi, on voit Seko Fofana puis Florian Sotoca dézoner pour se retrouver sur l’aile, au poste normalement réservé aux pistons. Un focus est fait sur Jonathan Gradit et sa capacité à rejoindre l’attaque grâce à ses percées balle au pied.
Les analystes relèvent plusieurs actions où les Lensois effectuent des passes aveugles. L’explication est claire : la connaissance du système leur permet de savoir à l’avance qu’un de leurs coéquipiers va occuper la zone. Pour que cela fonctionne, l’entraîneur doit avoir à sa disposition une équipe qui comprend ses exigences. La réussite de cette tactique dépend aussi de la bonne occupation de l’espace et d’un jeu de position efficace, ce qui réclame des efforts répétés et coordonnés. Ainsi, les extraits choisis montrent le positionnement de plusieurs joueurs entre les lignes ou encore le rôle des pistons aux deux extrémités du terrain. Enfin, le jeu du RC Lens repose sur des sorties de balles et des combinaisons où l’on recherche le troisième homme afin de former… des triangles.
Interrogé sur ses inspirations, Franck n’a pour autant jamais mentionné Phil Jackson. En revanche, il n’a jamais caché son admiration pour Pep Guardiola. Or, le technicien espagnol est considéré comme le plus digne héritier du football total. Le journal So Foot décrit ce concept comme « une tactique qui repose sur des permutations et des mouvements constants qui impliquent la participation de chaque joueur à la défense et à l’attaque, quel que soit son poste, selon la situation ».
Le football total est apparu pour la première fois dans les années 1970. À l’époque, Rinus Michels développe un jeu offensif chatoyant à la tête de l’Ajax d’Amsterdam puis du FC Barcelone. L’entraîneur néerlandais émerveille l’Europe, bien aidé par l’un de ses plus célèbres compatriotes : Johan Cruyff. Ce dernier, dont le poste est indéfinissable, brille dans tous les coins du terrain et ne cesse de magnifier ce système. Si bien qu’il continuera de l’incarner sur le banc de touche. En tant qu’entraîneur, il remporte de nombreux titres et impressionne par la qualité du jeu développé. À l’image de son mentor, il s’appuie sur des joueurs cadres pour faire appliquer ses principes. Parmi eux, on retrouve Michael Laudrup, Hristo Stoichkov et… Pep Guardiola.
« J’incarne une époque où le jeu offensif était synonyme de succès et où le plaisir était une notion fondamentale »
Johan Cruyff
La notion de plaisir est inhérente au football total, puisqu’il laisse une grande part à l’initiative personnelle, quel que soit leur poste. Elle occupe aussi une place importante dans l’esprit de Franck Haise. En septembre dernier, le Racing s’apprête à débuter sa campagne en Ligue des champions avec un statut de lanterne rouge de Ligue 1. Interrogé par La Voix du Nord, le technicien normand déclare alors à propos de la coupe d’Europe : « Si on ne la prend pas avec beaucoup de plaisir, on est des cons ! » Joueurs, supporters et observateurs, tous éprouveront cette sensation lors des quatre matchs qui suivront. Avec en point d’orgue la somptueuse victoire obtenue face au Arsenal de Mickel Arteta, jadis disciple de Pep Guardiola.
Gegenpressing et pression tout terrain
Parmi les sources d’inspiration du coach normand, on retrouve aussi Jürgen Klopp. L’entraîneur de Liverpool est connu pour son application du « Gegenpressing ». Cette mise sous pression à la perte de balle est aussi chère aux techniciens de Manchester City et du RC Lens. Il consiste à exercer un pressing intense sur les adversaires afin de récupérer le ballon dans les six secondes qui suivent la perte. Cela demande d’être organisé, rigoureux, coordonné et généreux dans l’effort. Ainsi, on peut imaginer que la capacité à presser peut être un critère pris en compte lors du recrutement de certains joueurs. Par exemple, Adrien Thomasson était l’un des joueurs de Ligue 1 à effectuer le plus de pressings avant son arrivée au Racing.
Plus que le pressing à la perte, le RC Lens aime proposer des séquences de mises sous pression de l’adversaire. Dans la plupart des cas, les joueurs attendent un signal avant de se mettre en route de façon simultanée. Cela peut être un dégagement aux six mètres ou encore une passe en retrait. On peut une nouvelle fois se baser sur la victoire lensoise en Ligue des champions pour illustrer ce principe. Menés un but à zéro, les Sang et Or sont disposés en bloc bas. Bien placés, ils poussent Martin Odegaard à effectuer une passe en retrait. Cette dernière déclenche les pressions successives de Florian Sotoca et Elye Wahi. David Raya prend alors la décision d’allonger son dégagement. C’est sur ce temps de passe que les Artésiens récupèrent le ballon pour ensuite remonter très rapidement le terrain et égaliser.
On retrouve au basket cette notion de signal pour déclencher une pression tout terrain. Le plus souvent, l’entraîneur met cette tactique en place après un panier marqué qui entraîne une remise en jeu adverse depuis la ligne de fond. À l’image de ce que l’on peut réaliser sur une pelouse, l’objectif est d’utiliser les démarcations du terrain pour enfermer les adversaires. La bonne coordination et l’intensité de l’équipe doivent permettre de récupérer le ballon et marquer sur des transitions. La réussite de ces phases rapides dépend du bon déplacement des joueurs. L’une des grandes différences est que le hors jeu n’existe pas au basketball, ce qui pourrait faire les affaires de Deiver Machado et Elye Wahi.
Une dynastie rouge et jaune ?
Entre les sports collectifs que sont le football et le basketball, il y a une forme de logique dans ces connivences tactiques, puisque le but est de récupérer le ballon et de marquer. Néanmoins, il est intéressant de relever que de grands principes de jeu peuvent aussi bien s’adapter aux deux sports malgré des différences importantes. Si certains doutent encore des liens entre les deux, la série à succès Ted Lasso les a joliment illustrés.
Dans cet extrait, le coach (Ted Lasso) d’une équipe en difficulté en Premier League pense avoir une hallucination salvatrice. Lors de celle-ci, il découvre le glorieux jeu en triangle mis en place au basketball. Ted a une révélation et est persuadé que ce système peut s’appliquer avec succès au football. Il pense même naïvement être le premier à réussir à transposer ces principes d’un sport à l’autre. Mais lorsqu’il montre ses travaux à son assistant, ce dernier lui rétorque immédiatement que cette tactique existe déjà et s’appelle le football total.
Notons que dans l’histoire des deux sports, il n’y a qu’une poignée d’équipes qui peuvent se targuer d’avoir mis en place ces stratégies sur le long terme. Pour le jeu en triangle comme pour le football total, l’équipe doit être rigoureuse, talentueuse et intelligente. Surtout, il faut un chef d’orchestre et un virtuose pour sublimer le tout. Dans le monde de la balle orange, les deux seules franchises à avoir réuni ces conditions sont les Chicago Bulls et les Los Angeles Lakers, toutes deux guidées par Phil Jackson et magnifiées par des génies de ce sport, Michael Jordan et Kobe Bryant. L’expression consacrée au basketball pour ces équipes est « dynasties ». Si belles et victorieuses qu’elles en sont devenues légendaires.
En football, l’Ajax d’Amsterdam de Rinus Michels et Johan Cruyff pourrait revendiquer ce statut. Le Racing club de Lens est bien évidemment très éloigné de toutes ces considérations. Néanmoins, tout en gardant un certain sens des proportions, on ne peut nier que les Sang et Or ont retrouvé des fondations solides et connaissent leur maestro. Ainsi, on peut ramener cette construction d’une dynastie à la quête d’un titre, quel qu’il soit, pour notre Racing. Pour atteindre cet objectif, il manquerait alors une dernière pièce du puzzle, et pas des moindres : trouver notre virtuose.
Sources : La Voix du Nord, Eurosport, Sofoot, Ligue 1 Uber Eats, RCLens, Trashtalk, RMC Sport, Basket USA, Basketsession, RTL