« Les Corons » à la reprise, la cloche marquant la descente de la cage au moment de l’entrée des joueurs, les maillots de Sainte-Barbe, des lampes de mineurs remises en fin de saison… Depuis plusieurs années, le Racing Club de Lens multiplie les clins d’œil à son passé minier. Et il n’est pas le seul à cultiver ce souvenir des liens entre extraction du charbon et football.
Le Racing Club de Lens est loin d’être le seul club de football européen qui peut se targuer d’une culture houillère et ouvrière. Dans la région, le VAFC (A comme Anzin à l’origine, ville où siégeait ce qui fut longtemps la plus grande compagnie minière française) est aussi marqué par cet héritage. À l’étranger, le bassin belge, du Borinage jusqu’à la Campine, la Ruhr en Allemagne ou le Limbourg aux Pays-Bas ont conservé les traces d’industries charbonnières aujourd’hui fermées. Le football y joue toujours un rôle central dans l’affirmation de la fierté de son territoire.
Culture Sang et Or s’est rendu dans différentes régions minières, en France mais aussi aux Pays-Bas et en Allemagne à la rencontre des liens encore existant entre la mine et le football. Des supporters et des salariés ont accepté de témoigner sur les traces de la mine qui imprègnent les travées des stades et sur la façon dont leurs clubs respectifs perpétuent cet héritage.
Comme l’indique Sebastian Pantförder, responsable du pôle tradition et des relations avec les supporters, « Schalke 04 a été fondé en 1904 par des enfants de la classe ouvrière. Ceux-ci travaillaient à la mine Consol et l’usine de poêles de Küppersbusch » dans la ville de Gelsenkirchen, dont Schalke est un quartier industriel. Le président emblématique du club, Fritz « Papa » Unkel, est employé par la mine de Consol. Celle-ci met à disposition du club des terrains et offrent une aide à la construction du stade Kampfbahn Glückauf . Le « Glückauf », qui veut dire « Bonne chance » (sous-entendu : de trouver du minerai, ou de remonter sans encombres à la fin de son poste), est la devise des mineurs de fond allemands et lorrains. Comme le précise Sebastian, « tout au long de son histoire Schalke a entretenu des relations étroites avec les mineurs de fond ». En 1997, alors que l’exploitation du charbon est en déclin, le club organise un match de bienfaisance contre Bochum, autre ville houillère. Les fonds sont destinés aux familles de mineurs confrontées aux fermetures. En avril 2000, les 3.000 mineurs du Zeche Hugo à Gelsenkirchen sont invités par le club après la fin de leur charbonnage. Ce geste sera réédité en 2015 lors de la fermeture du puits Auguste Victoria à Marl.
Le club occupe depuis 2001 l’utramoderne Veltins-Arena, bâtie à côté du vieux Parkstadion, mais « l’âme minière est toujours présente », soutient Sebastian. Les salons VIP portent les noms des différentes mines de Gelsenkirchen: Alma, Dahlbusch, Hibernia, Hugo, Nordstern, Westerholt. Le tunnel qui mène les joueurs sur le terrain représente une galerie de mine. De même que « Les Corons » résonnent à Bollaert, à Gelsenkirchen, c’est le « Steigerlied » (« Chant du porion » en français) qui est repris à pleins poumons avant chaque match.
Il est donc logique de croiser de nombreux anciens mineurs dans les tribunes de la Veltins-Arena. Ainsi, depuis quatre générations les Herzmanatus sont mineurs de père en fils. Pendant 25 ans, Klaus était lui-même mineur de fond au Zeche Hugo avant d’intégrer le comité d’entreprise. Ce supporter de Schalke 04 depuis cinquante ans fait partie des nombreux mineurs abonnés. Passionné par son métier et par le football, il gère deux musées, l’un consacré à sa passion pour Schalke 04, qui affiche une importante collection de maillots portés par d’anciennes gloires du club et de la Manschaft, et l’autre sur le site du Zeche Hugo. « Grâce à ce musée, nous avons pu sauver le chevalement de la destruction. Nous accueillons régulièrement des joueurs de l’effectif professionnel. La mine et Schalke ne font qu’un ! »
« Je suis ami avec d’anciens mineurs français, belges et hollandais. Je souhaite que cette solidarité entre les habitants de régions minières perdure et je suis très heureux de voir les nouvelles générations qui perpétuent cet héritage », affirme-t-il.
D’ailleurs Klaus suit régulièrement les résultats du RC Lens. Il émet un souhait, « venir à Lens le temps d’un match et accueillir des Lensois à Gelsenkirchen ». Pour faire vivre cette solidarité déjà présente en 1906, lorsque douze sauveteurs allemands sont venus depuis la Ruhr porter secours à leurs camarades après la catastrophe des mines de Courrières. D’après Sebastian, le responsable du pole tradition au sein du club, « des relations et un accueil informel et individuel de supporters de territoires communs peuvent être envisagés sans s’engager formellement ». Actuellement en difficulté sportivement, en deuxième division de la Bundesliga, Schalke 04 avait l’habitude d’offrir aux délégations de ses adversaires européens une lampe de mineur. Une habitude qu’a adoptée le RC Lens pour son retour sur la scène continentale, et de quoi peut-être espérer des relations amicales entre les deux clubs et les deux publics. Klaus ajoute : « Je souhaite pouvoir afficher un maillot de Lens dans mon musée et je remercie le club et tous les supporters de faire vivre la mémoire minière au présent ».
Dans des Pays-Bas où règnent sans partage trois grands clubs, l’Ajax, Feyenoord et le PSV, le territoire du Limbourg est méconnu. Appelée en néerlandais « Mijnstreek », la région des mines a été comme le Nord-Pas-de-Calais profondément marquée par l’exploitation charbonnière. Un demi-siècle après l’arrêt de l’activité, de nombreux vestiges subsistent notamment à Heerlen. Le club de Roda JC, dans la ville de Kerkrade, fut et reste le club des mineurs à l’instar du Racing Club de Lens. Dans les années 1950, on a même compté jusqu’à dix ouvriers des mines parmi les titulaires de l’équipe.
Quand le Racing Club de Lens attire des supporters de toute la région, bien au-delà du bassin minier, le Roda JC affiche lui un supportérisme très local et donc fortement enraciné dans son passé industriel. Cette spécificité du public tient à la concentration géographique de l’activité du charbon dans un espace restreint. Autour de Kerkrade, 70% de la population vivait directement de l’exploitation du sous-sol, à la grande époque de cette industrie.
Aujourd’hui, le club continue de cultiver au présent cette identité. Le kop du Parkstad Limburg est installé en Koempel tribune, littéralement la tribune du mineur. Les drapeaux et étendards qui y flottent sont le plus souvent frappés du pic et de la hache, les emblèmes du mineur. De plus, le club intervient régulièrement dans les écoles en faisant découvrir les métiers de la mine aux enfants par des présentations d’outils ou des diffusions de films retraçant l’épopée minière du Limbourg. Enfin, chaque saison, le staff et les joueurs de l’équipe professionnelle descendent au fond de la mine. Plus précisément à Blegny-Mine. Dans cet ancien charbonnage belge situé à quelques kilomètres de la frontière néerlandaise, des galeries ont été conservées qui permettent d’aller jusqu’à 60 mètres de profondeur.
Plus proche géographiquement de nous, un autre sous-sol que celui du Pas-de-Calais a vu des millions de tonnes de charbon être remontés par des générations de mineurs. C’est en effet près de Valenciennes, à Fresnes-sur-Escaut, en 1720, qu’a été découvert le premier filon de ce qui allait devenir le plus important bassin houiller français. L’exploitation dans le Hainaut s’est arrêtée en 1989 à Wallers-Arenberg. Une trentaine de puits ont été en activité entre 1752 et 1949 dans les faubourgs de Valenciennes. Le VAFC, bien que n’étant pas dans le giron des Houillères, comme a pu l’être le Racing Club de Lens, a vu son histoire se lier à la mine et à une autre industrie qui s’est implantée sur les lieux, l’acier.
Comme à Lens avec Stanis ou Jean Donbrowski, de nombreux joueurs du VAFC sont à la fois footballeurs et mineurs ou fils de mineurs. On peut ainsi citer les frères Zaremba originaires de Fresnes sur Escaut et dont le père travaillait au fond. Egalement le meilleur buteur de l’histoire du club, Serge Masnaguetti, ancien ouvrier des mines de fer de Lorraine qui est arrivé à Valenciennes à la seule condition de pouvoir continuer à cotiser au régime minier. Edouard Stachowicz dit Stako natif d’Escaudain était à la fois mineur et footballeur.
Longtemps dans l’ombre médiatique du voisin lensois pour l’appropriation de son passé minier, Valenciennes a vu naître des initiatives pour réveiller cette histoire dans les tribunes du stade du Hainaut. Ainsi, une partie de l’exposition organisée pour les 110 ans du VAFC était consacrée à l’histoire minière. Lors de la Sainte-Barbe, le coup d’envoi fictif fut donné par un ancien mineur de fond et un ancien sidérurgiste. Egalement, le club a signé une convention avec le Centre historique minier de Lewarde. L’ensemble du staff et des joueurs, aussi bien de l’équipe première que du centre de formation, iront visiter le musée pour s’imprégner de l’histoire de la région. Enfin, l’histoire ne le retient pas, mais lors de la mort de Pierre Bachelet en 2005, « Les Corons » ont été repris par la tribune de fer de l’ancien stade Nungesser.
Autrefois, les tribunes du stade Nungesser et du stade Bollaert étaient garnies par des mineurs de fond. Aujourd’hui, leurs descendants sont eux aussi dans les tribunes. De quoi espérer une réconciliation entre supporters lensois et valenciennois autour de ces valeurs communes ? Ou imaginer des rencontres de préparation d’avant-saison entre clubs avec des racines communes ? Se rencontrer entre supporters, partager des moments de convivialité : l’essence même de la passion pour le football.