Gueule de bois à l’européenne : c’est cruel, le football. On espère, on vibre, on exulte, on attend, on serre les dents, on prie, et parfois, le destin nous assène un coup de poignard dans le dos. Inspirons un grand coup et prenons un peu de recul. La fin de notre belle aventure européenne fait mal, mais on a connu pire. Tellement pire.
Dernier espoir européen
Le jeudi 15 février, vingt-quatre équipes pouvaient encore théoriquement prétendre à la victoire finale en Ligue Europa : les seize équipes des barrages de la phase à élimination directe, et les huit vainqueurs de la phase de groupes, qui attendaient patiemment de rentrer à nouveau dans la danse. Parmi ces vingt-quatre, il y avait du beau monde : l’AC Milan, Liverpool, l’Atalanta Bergame, West Ham, l’AS Rome, sans oublier un Bayer Leverkusen en tête du championnat allemand cette saison. Et il y avait le RC Lens.
De ces barrages, la moitié des clubs allait voir son parcours s’arrêter brutalement. Ce sont les lois du sport, les lois du football, et elles s’appliquent à tous. « Car à la fin, il n’en restera qu’un », comme dirait l’autre. Et parmi ces clubs encore en lice se trouvait le SC Fribourg. Notre adversaire. Le lion à occire pour espérer entrer dans l’arène des huitièmes de finale.
Certains parlaient d’un « tirage clément ». Mais n’y a pas d’adversaire facile quand on est le petit poucet dans une compétition que l’on n’a plus connue depuis presque deux décennies, peu importe la dynamique en championnat de l’une et l’autre équipe. Le match aller nous a rappelé la rudesse d’une confrontation européenne. Les Allemands savent y faire, et ce ne devait être une surprise pour personne. Le score vierge pouvait être frustrant, tout comme le contenu du match, mais ne pas avoir encaissé de but était déjà une bonne chose.
Dernière danse
Frank Haise et ses hommes ont semble-t-il su tirer des leçons de cette première confrontation, car c’est avec de bien plus belles intentions que le Racing a démarré le match retour en terres fribourgeoises. Le petit prince de la Gaillette, David Pereira Da Costa, nous a fait lever de nos sièges en ouvrant le score à la 28e minute. Puis Elye Wahi, en doublant la mise juste avant la mi-temps, nous a laissé croire que nous venions d’enfoncer un second clou dans le cercueil des joueurs allemands.
Ces dernières saisons, Lens en a connu, des retours de vestiaire difficiles. Et malheureusement, ce match n’a pas fait exception. Fribourg, un peu plus frais grâce à deux changements effectués dès le début de la seconde période, a mis le pied sur le ballon face à des Lensois qui ont vu leur assurance leur glisser entre les doigts. Bientôt, elle sembla loin, cette maîtrise affichée en première partie. La tension s’est accentuée juste avant un coup-franc allemand. Przemysław Frankowski et Florian Sotoca ont tous les deux écopé d’un carton jaune. Nous n’étions plus concentrés. Ritsu Doan a tiré. Roland Sallai a marqué.
Après cela, la difficulté du match s’est encore intensifiée pour les Lensois, aux prises avec une bête allemande blessée qui refusait de mourir. Six minutes après avoir subi cette réduction de l’écart, Frank Haise a procédé aux premiers changements : Ruben Aguilar et Morgan Guilavogui sont rentrés, sifflant la fin de match pour Frankowski et Wahi. Un peu plus tard, ce fut au tour de Jhoanner Chávez et David Pereira Da Costa de céder leur place à Massadio Haïdara et Angelo Fulgini.
Hélas, on ne peut pas dire que cette fraîcheur ait fait se lever un véritable vent de révolte du côté des Lensois, qui ne parviendront pas à asséner le coup fatal. Deux minutes avant la fin du temps additionnel, alors que tous les supporters regardaient le chronomètre en retenant leur souffle, le coup du sort s’abat : Fribourg égalise et arrache les prolongations. Nos hôtes prennent le large à la 98e minute. Lens ne reviendra pas au score.
Nouvelle expérience européenne
On retiendra quelques occasions lensoises ratées qui auraient pu changer le cours de l’histoire si elles avaient bien voulu finir au fond des filets, mais également plusieurs arrêts salvateurs de Brice Samba. Le scénario est cruel, presque sadique. C’est le football de haut niveau. Dans ce contexte, il est bon de se rappeler ces mots célèbres : « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends. » Ce soir-là, le RC Lens a eu de quoi avoir des regrets. Mais il a appris.
Ces dernières années, le club a évolué à vitesse grand V. Une progression impressionnante que notre ambition toujours plus folle nous pousse parfois à minimiser, à coups de « oui, c’est bien joli tout ça, mais maintenant, il faut viser plus haut ! » Bien sûr qu’il faut toujours viser plus haut. C’est le moteur même du sport. Mais attention aux vertiges des hautes altitudes : là-haut, l’oxygène se fait plus rare, et il faut s’acclimater intelligemment. Nombreux sont ceux qui peuvent se brûler les ailes en voulant atteindre le soleil trop vite, sans réfléchir, sans apprendre de leurs erreurs.
Des erreurs, le Racing en a commis. Il a aussi pâti du manque d’expérience de ce groupe à un tel niveau. Mais qui pouvait sincèrement penser que nous ne ferions aucun faux pas ? Que nous roulerions sur tout le monde avec l’assurance insolente des plus grands monstres du football ? Des clubs avec une expérience internationale bien plus fournie que la nôtre en commettent chaque saison, des erreurs ! Alors nous, petit poucet de la scène européenne, grande surprise de la saison 2022-23 en championnat, qualifiés en Ligue des champions après être remontés en Ligue 1 trois ans auparavant, nous n’en ferions pas ? Nous aurions la prétention de nous croire plus forts, plus malins, plus talentueux ? Non. Tomber face au SC Fribourg, qui joue sa troisième Ligue Europa en sept saisons, fait partie de l’apprentissage normal.
Désormais, il va nous falloir encaisser rapidement cette déception et nous remettre la tête à l’endroit. Car cette saison, s’il se donne les moyens de ses ambitions, le Racing peut aller chercher à nouveau l’Europe. Nous donner l’espoir de revivre toutes ces émotions. De rêver plus grand, forts de nos succès, mais aussi de nos échecs. C’est ce qu’on appelle l’expérience.
Des étoiles dans les yeux
Il n’est jamais facile d’être lucides dans l’étourdissement de la défaite. Mais ne perdons pas de vue l’essentiel : nous avons vécu des émotions européennes. Et quelles émotions !
Les premiers frissons en entendant résonner l’hymne de la Ligue des champions, l’excitation des grands matchs. L’égalisation d’Angelo Fulgini à à Ramón Sánchez Pizjuán, signe que oui, nous étions capables de rivaliser avec de grandes équipes européennes. La fabuleuse victoire contre Arsenal à Bollaert qui restera gravée dans l’histoire du Racing. L’égalisation d’Elye Wahi contre Eindhoven. La victoire contre Séville grâce au buts de Frankowski et Fulgini pour s’offrir une prolongation européenne. Sans compter les merveilleux tifos des supporters ainsi que les innombrables souvenirs de déplacements, pour tous ceux qui ont eu la chance d’en vivre.
Tout cela, nous ne l’avons pas rêvé, nous ne l’avons pas volé, nous l’avons bel et bien croqué à pleines dents sans savoir quand retentirait le coup de sifflet final. On aimerait que les bonnes choses ne s’arrêtent jamais. Mais c’est justement parce qu’elles ont une fin qu’elles sont si belles, et parfois si cruelles, hélas.
Pour un club qui a démarré la saison avec quatre défaites et un nul, qui aurait pu prédire que vivre une aventure européenne le ferait autant grandir ? Lens n’a pas été ridicule, très loin de ce que lui prédisaient certains pontes du football télévisé. Le très haut niveau apporte bien sûr son lot de frustrations, surtout quand on sait que les Artésiens sont capables d’encore plus. Le Racing Club de Lens ressort grandi de ce retour sur la scène continentale, c’est une certitude.