Sur Culture Sang et Or, nous avons aussi pour ambition de te faire voyager. La Covid nous empêche de monter dans un avion ? On s’occupe de ton passeport. Embarquement prévu aujourd’hui à Charles de Gaulle, Terminal 2, direction la Colombie, pour partir à la découverte du Millonarios FC, l’autre club de Joseph Oughourlian.
Le Géant Bleu
Le Millonarios FC est le club mythique de Bogota. Beaucoup en ont entendu parlé, mais peu le connaissent vraiment. Dans le contexte sud-américain, un club populaire de football dépasse largement les paramètres que l’on peut connaître ici, en Europe. Los Millonarios, ce sont véritablement un mastodonte du football colombien (1.7 millions de followers sur Twitter), un des clubs phares d’un pays où le ballon rond a longtemps servi d’exutoire à une population prise dans l’étau de la guerre civile.
Deuxième club le plus titré du pays avec l’America de Cali (15 titres nationaux chacun) derrière le grand rival de Medellin, l’Atletico Nacional (16 titres et 2.7 millions de followers), le club de Bogota peut s’enorgueillir d’avoir accueilli en son sein une des légendes du football mondial en la personne d’Alfredo di Stefano. L’Argentin, qui a également joué pour les sélections espagnole… et colombienne, est considéré par tous comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire du football mondial. C’est en 1949 que Alfredo Di Stefano déposa ses valises à Bogota.
« le football est l’unique solution pour contrôler et calmer la population après le meurtre de Gaitan »
La Colombie, une histoire politique
Retour en arrière. L’histoire du football a de cela de magnifique qu’elle s’imbrique de manière quasi permanente avec l’histoire des Hommes. Bogota, 9 Avril 1948. L’avocat Jorge Eliécer Gaitan, leader du Parti Liberal et ferme opposant à la violence politique qui règne dans le pays, est abattu à la sortie de son hôtel alors qu’il était sur le point de rencontrer un autre avocat nourri d’ambition… un certain Fidel Castro
Cet énième épisode de violence, qui nourrit alors quotidiennement la vie locale, obligea le gouvernement à prendre des mesures radicales. Le problème central était de trouver une solution afin de contenir le mécontentement d’une population, victime collatérale et exaspérée de cette instabilité. Suite à cet assassinat, la ville de Bogota fut proie à de terribles émeutes, aujourd’hui appelées Bogotazo. L’historien du football colombien, Guillermo Ruiz Bonilla, déclarait à cette période que « le football est l’unique solution pour contrôler et calmer la population après le meurtre de Gaitan ».
Ils ont trouvé l’El Dorado
Ainsi furent posées les bases de l’El Dorado, qui allait devenir le championnat domestique le plus attractif du continent sud-américain. Car la situation colombienne coïncide avec une crise majeure qui secoue le football colombien. Une crise avec des retentissements bien moins importants, certes. La Ligue Colombienne de football, en conflit avec sa fédération, et par ricochet la FIFA, fut mise au ban du football international. Les clubs colombiens ainsi que Los Cafeteros (la sélection nationale), se retrouvèrent par extension bannis de toutes compétitions internationales. Cette distanciation entre le football colombien et la FIFA allait laisser la place à un vide juridique, qui allait notamment permettre aux clubs colombiens de ne plus avoir à payer des indemnités de transferts, opération encadrée par cette même FIFA.
…l’argentin fut accueilli par près de 5,000 supporters à son arrivée à l’aéroport de Bogota. Chaleur !
Car au même moment, le football argentin est lui aussi en proie à une crise sociale majeure.. Les joueurs des clubs de Buenos Aires, Rosario ou Cordoba réclament, à partir de 1948, à ce que leurs droits et salaires soient augmentés. On est en pleine période péroniste – du nom du mythique président argentin Juan Peron. Les joueurs argentins, au fur et à mesure de leur combat social, prennent connaissance de la situation exceptionnelle du football colombien, qui leur permettrait d’obtenir les salaires réclamés depuis de si nombreuses semaines.
En 1949, c’est Alfonso Senior, Président du Millonarios FC, qui dégaine le premier. C’est ainsi qu’il convainc Adolfo Pederneda, qui joue dans l’autre club Millonarios du continent, River Plate, de rejoindre Bogota. La signature de Pederneda fut annoncée le 8 Juin 1949, et l’argentin fut accueilli par près de 5,000 supporters à son arrivée à l’aéroport de Bogota. Chaleur ! Le club communiqua par la suite que les recettes générées lors de la présentation de la star argentine furent cinq fois plus importantes que celles réalisées par le club sur une saison sportive complète. Le succès est retentissant. On assiste, à partir de 1949, à la naissance d’un véritable pont aérien entre l’Argentine, l’Europe et la Colombie, dans la mesure où tous les clubs colombiens finirent par suivre le modèle d’Alfonso Senior.
La période du Ballet Azul
C’est dans ce contexte que Alfredo Di Stefano s’engagea aux Millonarios en 1949. Convoité par le Torino, Di Stefano, star majeure de River Plate, est contacté discrètement par son ancien coéquipier Pederneda. Senior valide le volet financier de l’affaire, et l’homme de Barracas s’envola dans la plus grande discrétion pour Bogota, en compagnie de son coéquipier Nestor Rossi. Los Millonarios, forts d’une équipe composée de joueurs d’exceptions provenant d’Argentine, mais également d’Angleterre, vont dominer le championnat colombien et l’équipe d’alors recevra le surnom de el Ballet Azul, correspondant à son jeu chatoyant fait de passes et de dribbles.
Les Millonarios de Di Stefano remporteront les championnats 1949, 1951, 1952 et 1953. Les accords de Lima, signées en 1951 et appliqués à partir de 1954, sifflèrent néanmoins la fin de l’El Dorado. Les joueurs furent alors contraints de retourner dans leurs anciens clubs si le montant de leur transfert n’était pas régularisé par les clubs colombiens. Di Stefano, dont le talent et la notoriété dépassaient largement le continent sud-américain, choisit de rejoindre le Real Madrid, et s’en alla marquer de son empreinte l’histoire du football espagnol et mondial.
Ecrit par Antoine (@l2F_bm)