Óscar Cortés, un talent pur, décrit comme un des joyaux du football cafetero. « Il joue comme Mbappé », s’enflamment même certains médias colombiens. Plus mesuré, Pierre Gerbeaud vit en Colombie, et collabore avec Lucarne Opposée, média français de référence traitant du football d’ailleurs. On a conversé avec lui sur l’ancien numéro 34 du Millonarios, et donc nouvelle attraction des Sang et Or.
Crédits : Gol Caracol
Cortes, 19 ans, rejoint donc le Racing Club de Lens jusqu’en 2028. Il est né le 3 décembre 2003 à Tumaco, dans le département de Nariño, proche de la frontière équatorienne. Une partie de la Colombie réputée pour sa violence endémique. La population souffre de la guerre que se livrent l’État et divers groupes armés, et la pauvreté touche 54% des quelque 200.000 âmes qui peuplent la région. Dans certains endroits, la jeunesse locale ne fréquente même plus les bancs de l’école. Comme c’est fréquemment le cas dans pareil contexte, le football est l’un des meilleurs moyens pour sortir de ce cauchemar, qui ternit l’image de la pourtant dénommée « Perle du Pacifique ». Une région d’où sont également originaires certaines figures du football colombien comme Willington Ortíz, Leider Preciado ou encore Pablo Armero. Et de manière plus surprenante, certains joueurs équatoriens comme Byron Castillo, soupçonné d’avoir falsifié ses documents d’identité afin de passer la frontière en quête d’une vie meilleure.
Voici le contexte qui entoure la jeunesse d’Óscar Cortes. Il fait ses armes dans le club local de Candelilla FC. Sa famille se lève à 5 heures du matin pour aller travailler dans les plantations de chocolat et bananeraies. Lui déborde d’amour pour le football. Il finit par intégrer le Llorente Fútbol Club puis le Deportivo Tumaco Fútbol Club. C’est en participant au Torneo Internacional des las Americas qu’il est repéré par les scouts du Millonarios, à 14 ans. Ses premières apparitions avec l’équipe première d’El Embajador datent de 2022. Mais pour le jeune ailier, tout démarre véritablement lors du Sudamericano de janvier 2023 (équivalent de l’Euro U20), qui a eu lieu en Colombie. Les jeunes cafeteros terminent la compétition à la troisième place, se qualifiant ainsi pour le Mondial U20. À son retour en club, Cortes devient titulaire. Il inscrit un doublé contre les Jaguares de Cordoba, pour ensuite enchaîner les titularisations et les buts.
Óscar (à droite) avec son frère Emmanuel, au Tumaco FC (photo Gol Caracol)
Óscar Cortes est encore un très jeune joueur qui compte peu de matchs professionnels. La carrière de l’ailier a à peine démarré que le voici projeté en Europe. Cette inexpérience ne l’a toutefois pas empêché de briller lors du Mondial U20, en Argentine en mai. Avec 4 réalisations, il termine bota de bronce, c’est-à-dire troisième meilleur buteur de la compétition. Son ascension lui a permis d’être appelé en A le 5 juin par le sélectionneur, l’Argentin Nestor Lorenzo, en compagnie de Deiver Machado, pour deux matchs amicaux en Europe, contre l’Irak et l’Allemagne. Il est entré en fin de match lors du premier (1-0).
Depuis, le jeune Cortes a réintégré les Millonarios, permettant à son club de décrocher le titre de champion du tournoi de finalizacion. Succès qui fait suite au très récent titre de champion du tournoi d’ouverture (apertura) et qui permet au club de Bogota de revenir à une longueur du rival de Medellin, l’Atlético Nacional. Pierre Gerbeaud nous fait part de son point de vue sur ce joueur virevoltant.
Pierre, est-ce que tu peux nous parler de cette nouvelle génération colombienne qui semble hyper prometteuse ?
La sélection colombienne est une des plus talentueuses en termes de talent brut : elle est presque plus attendue que celle qui a atteint les quarts de finale du Mondial U20 en Pologne en 2019, dans laquelle tu retrouves des joueurs comme Hernandez ou Sinisterra. Dans cette nouvelle génération, tu as notamment Yaser Asprilla qui évolue déjà à Watford en Angleterre, mais aussi Castillo Manyoma, ou encore Gustavo Puerta (Leverkusen) qui est également un grand talent. Et évidemment, Óscar Cortes. Il n’y avait pas trop d’illusions sur le fait de le conserver en Colombie au-delà de cet été.
Vainqueur du tournoi d’ouverture et de clôture avec le Millonarios (photo Antena 2)
Qu’est-ce qui fait que la Colombie sort autant de talents depuis quelques années ?
Le schéma du championnat colombien, clairement, puisque les clubs n’ont le droit qu’à quatre étrangers, dont trois sur le terrain en même temps. Il n’y a pas d’arrêt Bosman ici, donc on parle de joueur étranger à partir du moment où le passeport n’est pas colombien. Beaucoup de jeunes accumulent du temps de jeu très rapidement, que ce soit en première ou en deuxième division. C’est propice à l’émergence de talents.
Parlons d’Óscar Cortes justement, qui semble exploser depuis le mois de janvier.
Óscar Cortes est un joueur de couloir, offensif, droitier et qui peut jouer côté gauche faux pied, mais également à droite dans un rôle plus classique. Depuis quelques années, le Millonarios dispose d’une école d’ailiers assez incroyable. On peut parler d’Emerson Rivaldo et Carlos Gomez qui sont partis en MLS, mais aussi de celui qui est promis à remplacer Cortes, Beckham David Castro Espinosa. Oscar va vite, et a une grosse capacité d’élimination par le dribble en un contre un. Il est devenu un peu plus instinctif, il se pose moins de questions. D’ailleurs, il met un but contre les Jaguares de Cordoba où il réussit à dribbler le gardien, pour ensuite la mettre au fond depuis l’angle du corner. Il a bien progressé dans la vision du jeu. Ce n’est vraiment pas ce qu’on appelle communément un « tout droit ».
À quel joueur le comparerais-tu ? Certains Colombiens ont été dithyrambiques à son sujet, dressant tour à tour des parallèles avec Luis Diaz, Dimitri Payet, voire Kylian Mbappé, sur ses aptitudes à déposer ses adversaires sur place…
Je ne me risquerais pas à entrer dans le jeu des comparaisons. Je déteste ça, dire que tel joueur est le nouveau Machin. Je vais être clair, pour moi ce n’est pas un crack intersidéral comme Ronaldo ou Messi. Mais ça va être intéressant de voir s’il est capable de se mettre au niveau du jeu de Franck Haise, notamment dans l’intensité. C’est un joueur de couloir qui en Colombie a l’habitude d’évoluer en 4-3-3 ou 4-2-3-1, en tant qu’ailier gauche ou ailier droit, et parfois dans un rôle plus axial. À voir où il va se situer sur le terrain puisque Lens joue avec des pistons. Peut-être dans les deux derrière l’attaquant ?
Cortes, 19 ans et déjà international colombien (photo Semana.com)
En dehors des terrains, comment est-il ? On parle d’un joueur calme, réservé.
Clairement ce n’est pas un joueur qui a fait beaucoup de vagues ici en Colombie. Il est assez discret, oui. Il a réussi à ne pas partir en vrille notamment lorsque la sélection colombienne pour le Mondial U20 est sortie. Millonarios ne voulait pas le libérer et a fait le forcing puisqu’ils étaient à la lutte dans la course au titre. Finalement, il y est allé puisque le règlement colombien interdit les clubs de retenir un joueur appelé en sélection, quelle que soit la catégorie. En Colombie, cette histoire a pris des proportions énormes. Dis-toi qu’en Colombie, des After Foot il y en a cinq ou six. Pendant des jours, on n’a fait que parler de lui. Et au final il a réussi à bien garder la tête sur les épaules.
Il rejoint donc le RC Lens. Comment cela s’est fait ?
De ce que j’ai pu lire, l’accord entre le RC Lens et Millonarios porte sur un montant à hauteur de 4 millions de dollars (ndlr : le Millonarios conserve entre 20 et 30% des droits du joueur). Et contrairement à ce que j’ai pu lire, ce n’est pas Joseph qui a négocié avec Oughourlian. Vraiment, ce n’est pas le cas. À Millonarios, il n’est pas le seul décideur. Il y a un président qui s’appelle Enrique Camacho, et un autre actionnaire, Gustavo Serpa. Ce que je peux te dire c’est que le deal a été fait de club à club, sans intermédiaire, sans agent ni mandat. C’est pour cela que le prix peut paraître peu élevé. Le club avait des offres plus importantes mais avec des intermédiaires, donc moins intéressantes pour le Millonarios.