À des milliers de kilomètres de Bollaert, réunis sous la bannière de Sang Érable, ils partagent leur passion du Racing Club de Lens malgré les six heures de décalage horaire. Entre souvenirs, espoirs pour l’avenir et anecdotes d’expatriés, Alexis, Benoît, Vincent et Paul nous ouvrent les portes de leur passion, vécue avec ferveur depuis Montréal.

C’est un après-midi inhabituellement chaud pour un mois de mars. Si bien que de nombreux Montréalais se sont empressés de reprendre leurs habitudes estivales : shorts, barbecues et bières sont de sortie dans les parcs. Avec ma « blonde », nous décidons de la jouer sobre et de nous balader dans cet agréable quartier de Beaubien-Petite-Italie.
Malgré la météo exceptionnelle, je ne peux résister à l’idée de m’enfermer au Bruno Sports Bar. Oh, ce n’est pas la décoration décousue et datée ni les machines à sous qui m’attirent… mais les écrans accrochés sur tous les murs ! C’était là ma meilleure chance de réussir à regarder un Lens-Rennes au cœur d’une saison de Ligue 1 bien terne, et… bingo ! Les serveuses me confirment rapidement que le match est disponible. Mieux encore, un écran diffuse déjà l’échauffement des deux équipes. Et cela n’a rien d’un hasard, puisque deux hommes au chandail sang et or fixent le téléviseur, assis au fond du bar, armés de pintes.
C’est ainsi que j’ai rencontré les Sang Érable.
Une passion éprouvée par la distance et les déceptions, mais bien réelle
Les premiers échanges ont eu lieu avec Alexis et Benoît. Alexis est « né à Valenciennes. Mon grand-père, mon parrain et mon ancien beau-père étaient abonnés à Lens. Ils avaient quatre abonnements, et le dernier était souvent pour moi quand j’étais petit. La suite était logique ! » Tandis que Benoît est « né à Cambrai. Chaque soir après le collège je regardais les infos sur le Racing. Cela s’est intensifié lorsque j’ai eu mon permis et que j’ai pu aller à Bollaert plus facilement. Même si je devais y aller sans connaître personne, je prenais ma place ! Quel bonheur cette ambiance, cette chaleur, les frissons des corons à la mi-temps, que nous ressentons même à des milliers de kilomètres lors des matchs ! »
Valenciennois, Cambrésis et pour ma part Douaisis ! C’est tout le département du Nord qui rayonne cet après-midi-là au Bruno Sports Bar. Une journée qui s’est en plus conclue par l’habituelle victoire du RC Lens sur son cousin du RC Rennes. Pour autant, le meilleur souvenir de la saison passée réside pour les deux supporters dans une rencontre face à un autre club de l’Ouest. « Le Lens-Nantes où on gagne 3-2 en fin de match avec un but gag. Surtout pour le contexte global dans lequel j’ai regardé le match. Mais aussi parce qu’on était découragés et que ça faisait du bien », nous dit Alexis. Benoit ajoute du contexte : « On a regardé ce match à l’Union française, un bar où siègent des supporters du PSG à Montréal. Avec Alexis et Paulo, on n’y croyait plus, et un des supporters de Paris nous a dit qu’on allait gagner alors qu’il il y avait 1-2 pour Nantes à cinq minutes de la fin. Les bières ont coulé à flots après cette victoire inespérée ! »
« Paulo » et Vincent sont les deux autres membres de cette section officieuse. Ils viennent respectivement de Dunkerque et de Boulogne-sur-Mer. Paul « a commencé à aimer le Racing quand j’ai déménagé à Lille ! Là-bas, j’ai intégré la section Sang & Nord, où nous nous sommes rencontrés avec Alexis. » De son côté, Vincent a « chopé le virus au début du collège (juste après le titre de 98 malheureusement !). Depuis je me suis régulièrement rendu au stade et c’était un bonheur à chaque fois ! Plus récemment j’ai rejoint la section lensoise de l’association Foot en Cœur, qui accompagne des enfants hospitalisés ou handicapés au stade pour aller voir leur équipe préférée. Parfois ce sont des enfants qui ne sont jamais venus au stade. Quel que soit le résultat ce sont des émotions incroyables qu’on peut partager avec eux ! »

Mais le fait d’avoir grandi près des plages des Hauts-de-France n’est pas la seule chose qu’ils ont en commun. Paul et Vincent partagent le même pire souvenir de la saison dernière. Ils citent en chœur « l’élimination contre le Pana, sur un match qu’on doit gagner mille fois. La Conference League aurait justement pu rendre notre saison plus intéressante. Même avec un effectif qui n’est pas taillé pour le haut du championnat, il y avait moyen d’y faire un beau parcours. Nous avons eu l’impression de revivre un peu le même scénario que face à Fribourg la saison précédente. »
À l’image de cette double confrontation face au Panathinaïkos, Alexis, Vincent et Paul pointent « l’inefficacité offensive » comme étant le plus gros des maux lensois l’an passé. Vincent abonde : « À l’arrivée, notre meilleur buteur est notre 6. Ça dit pas mal de choses ». C’est d’ailleurs ce fameux 6, Neil El-Aynaoui, qui ressort chez Alexis et Benoît lorsqu’ils évoquent leurs satisfactions. Paul de son côté retient « la belle saison de Thomasson malgré les critiques subies avant la reprise. »
Au moment de dresser le bilan de la saison précédente, c’est la déception qui domine chez ces résidents de la Belle Province. Depuis l’autre rive de l’Atlantique, ils ont assisté à une année moyenne, perturbée par les secousses en coulisses. Alexis et Benoît regrettent notamment « le départ de Samba en plein milieu de saison ». Tandis que Vincent a été « frustré par Andy Diouf qui a un vrai potentiel qu’il ne parvient pas à confirmer. »
C’est comment, supporter Lens à Montréal ?
Comment vivent-ils leur passion à distance ? Pour Alexis, cela ne change pas grand-chose, à un détail près. « Depuis mon arrivée en septembre l’an dernier, je suis toujours autant l’actualité et ne rate aucun match. La seule différence est que je ne me rends plus au stade ! Ce qui me manque le plus c’est Bollaert évidemment. L’avantage, c’est que je me désintéresse de plus en plus du foot en général, et le fait de baigner dans un environnement où le « soccer » est moins important, ça me permet de me concentrer sur Lens et de faire abstraction du reste. Le décalage horaire aide aussi à suivre d’autres sports la même journée comme le hockey. »
Benoît est arrivé en mars 2023. « Avant la fin la saison où on va chercher la qualification en Ligue des champions ! J’étais quand même parvenu à assister à 12 matchs à Bollaert avant de partir. Je voulais essayer d’exploser mes objectifs pour pouvoir envisager un aller-retour Canada-Europe et voir un match de Ligue des champions… Mais c’était trop compliqué. Comme je suis beaucoup sur la route, je me suis consolé en organisant mes déplacements en fonction des matchs de Lens. J’ai ainsi pu les regarder à la télé ! » Il n’est pas toujours évident de suivre les matchs à distance, entre le décalage horaire qui fait que Lens joue le matin ou l’après-midi, la difficulté à trouver un bar, ou même une chaîne qui diffuse le RC Lens. Lorsque l’on leur demande comment ils regardent les matchs du Racing depuis Montréal, les Sang Érable n’ont qu’un prénom à la bouche : Bruno.

Paul explique que « le patron du Bruno Sports Bar est un vrai fan de foot. Il y a des écrans partout donc c’est naturellement devenu notre QG. » Vincent confirme « que c’est devenu quasi systématique de regarder les matchs ensemble chez Bruno. Sauf si le match est trop tôt après une soirée trop arrosée ! Le Bruno Sport Bar est devenu notre rendez-vous habituel pour les matchs, ils ont tellement d’écrans qu’on est sûrs qu’ils nous en mettront un sur le match, même si les Canadiens de Montréal [équipe de hockey] jouent à la même heure ! En plus la première fois que j’y suis allé c’était pour voir le derby de septembre 2021 qu’on gagne 1-0, donc à partir de là je ne pouvais qu’aimer cet endroit. » Benoît valide aussi évidemment l’endroit. Il ajoute qu’« on rencontre des gens supporters d’autres clubs. L’ambiance est toujours sympa ! Pour les matchs face au PSG, même si le résultat n’est pas souvent favorable l’accueil est toujours chaleureux. Les Parisiens louent nos valeurs et notre état d’esprit ici ! »
En parlant de valeurs, nos Lensois du Canada voit des similitudes entre bassin minier et Québec. « Les Québécois sont accueillants autant que les gars de chez nous » d’après Alexis. Paul parle de « sens de l’accueil et de réelle bienveillance. On ressent aussi un sentiment de fierté pour leur histoire. Dans ce grand pays qu’est le Canada, le Québec, comme le Nord-Pas-de-Calais, a une réelle singularité culturelle. » Et le Québec, comme les collectivités des Hauts-de-France, met en place des initiatives pour que cet héritage soit préservé.
En France, cela peut concerner le patrimoine hérité des mines, quand au Québec on accordera plus d’attention au maintien de la langue française. Alexis observe également des « similitudes dans la culture de la bière. Il y a énormément de microbrasseries et de choix de bières différentes. Au moins là-dessus, on n’est pas dépaysés ! » Qu’ils soient originaires de Dunkerque, Cambrai, Boulogne ou Valenciennes, les membres de Sang Érable partagent plus qu’une passion pour le RC Lens : ils perpétuent, à des milliers de kilomètres de Bollaert, l’esprit du bassin minier. Entre la chaleur humaine, l’attachement aux valeurs collectives, la fidélité sans faille et la convivialité autour d’une bonne bière, ces supporters vivent leur exil comme une continuité, pas une rupture.
Entre espoirs et prudence pour la saison à venir
À l’heure d’évoquer les perspectives pour la saison à venir, l’arrivée de Pierre Sage semble une bénédiction pour le Racing. Si les Montréalais sont satisfaits du choix de coach, ils ne peuvent s’empêcher de nuancer.
Alexis : « Je pense que ça peut apporter quelque chose de nouveau au club, il a l’air d’avoir une personnalité qui « fit »[correspond] bien, mais à voir parce qu’on disait aussi ça de Still. » Benoît : « Je suis plutôt satisfait ! Il a fait du bon travail à Lyon avant d’être remercié ! En espérant que ce ne soit pas uniquement un tremplin en réalisant une ou deux saisons, mais plutôt qu’il est prêt à bâtir quelque chose sur le long terme avec un projet de jeu cohérent . À voir également les moyens que le club mettra à sa disposition pour figurer au mieux possible en championnat et essayer d’aller loin en coupe de France. »
Vincent se veut lucide : « Il a l’air d’avoir un vrai projet de jeu de et l’ambition, mais on disait aussi ça de Will Still ! » Paul : « Il bénéficiait d’une bonne cote à Lyon avec des principes de jeu salués. Je suis plutôt positif. J’attends de voir les moyens humains qui lui seront donnés après la perte de Neil. »

Les jeunes expatriés ont besoin de plus pour raviver la flamme. Et tout en haut de leur liste de souhaits, on trouve un attaquant. Vincent a eu trop de fois le sentiment que « l’on pouvait jouer des heures sans marquer ». Alexis et Benoît réclament « un buteur ». Paul admet « qu’il s’agit des profils les plus complexes à recruter. On l’a vu avec le remplacement d’Openda qui a pris une éternité. »
Au niveau des attentes, Vincent reste mesuré. « Un peu plus d’ambition et de régularité, pour qu’on n’ait pas l’impression de revivre une saison de transition ». Paul plussoie. « J’attends plus de stabilité en terme de staff déjà. Qu’on obtienne un maintien rapide. J’ai du mal à ambitionner une qualification en coupe d’Europe pour le moment. » Sans connaître tout à fait les contours de l’effectif, Alexis craint le scénario catastrophe « d’une équipe en fin de cycle qui s’effondre complètement. Cela peut être difficile de trouver de nouveaux automatismes. » Benoit enfin fait partie des grands optimistes de la communauté lensoise. Il croit en « une nouvelle dynamique d’équipe qui pourrait mener à un parcours en Coupe de France voire à l’Europe ».
Concernant les nouveaux visages, Alexis et Vincent croient respectivement en une belle année de deux recrues : Robin Risser et Samson Baidoo. Tandis que Benoît prend plus de risque en imaginant Rayan Fofana se montrer un peu plus. Enfin, Paul mise sur « le retour de Morgan Guilavogui en grâce ! »
À Montréal, dans les rues enneigées comme sous les rayons d’un soleil estival inattendu, le Racing ne quitte jamais vraiment leur quotidien. Leur QG du Bruno Sports Bar est devenu un Bollaert de fortune, un refuge rouge et jaune où l’on vibre ensemble malgré le décalage horaire. Sang Érable est la preuve que l’amour du RC Lens ne connaît ni frontières ni fuseaux horaires. Être lensois, au fond, ce n’est pas une question de lieu. C’est une question de cœur.
