Ahmed Oudjani est né le 19 mars 1937 à Skikda (Philippeville) en Algérie, sur la côte méditerranéenne. Originaires de Sidi-Aich, à 40 km de Béjaïa dans la région de Kabylie, les parents d’Ahmed déménagent à Philippeville pour travailler dans les usines Gaz de France. C’est dans le club de sa ville natale, le JSMP (Jeunesse Sportive Musulmane de Philippeville), qu’Ahmed va découvrir le football. Son grand frère, Mokrane, joue lui aussi pour le JSMP.
En 1957, Ahmed tente sa chance en France et débarque dans le Loir-et-Cher pour travailler dans une fromagerie. Dans le même temps, il rejoint le club de l’US Vendôme, un club qui évolue alors en CFA. Pour sa première saison, il est sacré meilleur buteur du groupe Ouest de CFA. À cette époque, Henri Trannin, qui dispose d’un important réseau, entend parler du jeune avant-centre. Après un essai concluant, il lui fait signer son premier contrat le 1er juillet 1958. Il ne le sait pas encore, mais Henri Trannin vient de faire signer celui qui deviendra bientôt une légende du RC Lens.
«Si j’ai signé à Lens, c’est pour lui. C’était l’homme le plus discret de la terre, le meilleur directeur sportif que je connaisse.»
Ahmed Oudjani
Une première année compliquée collectivement pour le RC Lens qui échappe de peu à la relégation en deuxième division, mais d’un point de vue individuelle, Ahmed réussis tout de même à inscrire 15 buts. L’année suivante, il fait encore mieux avec 16 réalisations et le RC Lens fini cette fois-ci à une belle 6e place. Sur ces 2 premières saisons avec Lens, il réussit l’exploit de gagner 2 fois la coupe Charles Drago, en 1959 contre Valenciennes et l’année suivante contre Toulon.
Cette finale contre Toulon va donner lieu à une performance qui caractérise parfaitement Ahmed Oudjani. Après avoir permis à son équipe de revenir par deux fois au score, Ahmed va malheureusement se blesser gravement au genou. En compétiteur acharné, il refuse de sortir du terrain et continue de jouer malgré la douleur. Avec une force de caractère incroyable, il réussit à inscrire le troisième but, synonyme de victoire. Tombé dans les pommes juste après le coup de sifflet final, il ne pourra malheureusement pas célébrer la victoire avec ses coéquipiers.
Le onze de l’indépendance
En août 1960, il disparaît mystérieusement en même temps que deux autres joueurs Algériens évoluant à Angers, Ali Ben Fadah et Dahman Defnoun. Ahmed Oudjani vient alors de rejoindre l’équipe du FLN (Front de libération nationale) basé en Suisse. Cette équipe, non reconnue par la FIFA, créée en 1958, promeut l’indépendance de l’Algérie. Cette équipe, que l’on nomme également le « onze de l’indépendance », regroupe les meilleurs joueurs algériens issus du championnat de France. Ils effectuent une tournée dans les pays de l’est et dans toute l’Asie.
Ces matchs font connaître à travers le monde la cause algérienne et sa guerre d’indépendance. Dans cette équipe, on retrouve même des internationaux Français comme Rachid Mekhloufi de l’AS Saint-Étienne ou encore Mustapha Zitouni de l’AS Monaco. De nombreux joueurs de ce onze de l’indépendance feront partie de la nouvelle équipe nationale d’Algérie qui sera mise en place en 1962, après l’indépendance.
Ahmed Oudjani refait surface le 18 avril 1962 (après les accords d’Évian), pour le match Lens – Saint-Étienne. Durant ses 2 années d’absence, il n’a rien perdu de son talent, et réalise l’exploit de marquer 6 buts contre le RC Paris lors d’une victoire 10-2, le 8 décembre 1963. Meilleur buteur du championnat durant la saison 1963/1964 avec 30 buts, il remporte une 3e coupe Charles Drago en 1965 et sera appelé pour représenter la sélection nationale d’Algérie.
Le myope est roi
« Je ne distingue presque rien au-delà de 10 mètres. »
Ahmed Oudjani
Après son retour en 1962, sa myopie s’aggrave. Et après une consultation chez un spécialiste parisien, le verdict tombe : il devra porter des lunettes. Un premier essai a lieu contre Monaco, mais tout ne se passe pas comme prévu :
« Je devais retirer sans arrêt ces sacrées lunettes pour les essuyer, et quand je ne les ôtais pas, ce sont-elles qui, au moindre choc, tombaient au sol. Pour résumer, j’ai passé la moitié du match avec mes lunettes dans la main […] les lunettes sont incompatibles avec mon poste d’avant-centre et surtout avec ma manière de jouer : je reçois beaucoup de coups, les chocs sont fréquents et violents. »
Ahmed Oudjani
Les verres de contact ne sont pas envisageables, à cause d’un trachome qui rend la pose douloureuse. Finalement, Ahmed s’accommode de sa vision défaillante et compense par une connaissance parfaite du stade Bollaert.
« La connaissance des lieux m’est précieuse, sur la pelouse de Bollaert, je tire et marque des buts de 15 à 20 mètres, à l’extérieur, j’hésite davantage et mon pourcentage de précision est réduit. »
Ahmed Oudjani
Après un court passage au RC Paris, Sedan et Caen, il repart en Algérie du côté du JSM Tébessa et du JSM Béjaïa. En 1970, il fait son retour en France pour soigner son fils Azzedine, victime de la poliomyélite. Il reprend alors du service au sein de l’attaque Sang et Or pendant 2 saisons avant de raccrocher définitivement les crampons en 1972. Il devient ainsi le meilleur buteur du RC Lens avec 94 buts. Il intègre le staff lensois à partir de 1974 et devient entraîneur des jeunes puis responsable des équipements et enfin, supervise les rencontres des futurs adversaires du Racing.
Une histoire de famille !
Ahmed Oudjani a cinq enfants, Radhia, Zahir, Yassine, Azzedine et Chérif. Ce dernier mène lui aussi une brillante carrière de footballeur au RC Lens et avec l’équipe nationale algérienne, en remportant la coupe d’Afrique des nations en 1990. Chérif Oudjani est l’unique buteur de la rencontre contre le Nigeria en finale de la CAN à Alger. Adam Oudjani, son petit-fils (neveu de Chérif), intègre également la formation lensoise.
Celui que l’on surnomme Médo ou encore le Canonnier pour sa puissance de frappe décède brutalement le 15 janvier 1998, quelques mois seulement avant le sacre de champion de France. Daniel Leclercq, dont il était très proche, lui dédie le titre. Au stade Albert Debeyre à Lens, un terrain porte désormais le nom d’Ahmed Oudjani.
Est-ce que le record de buts d’Ahmed Oudjani, qui perdure depuis plus de 50 ans, sera un jour surpassé ?
Sources :
- Le Supporter (Racing Club de Strasbourg) – 30 avril 1964
- Racing Club de Lens, un siècle de passion en Sang et Or – Isabelle Dupont & Dominique Paquet
- Stanislas Frenkiel @TempsdesportHistoire
- Lens Data Story – Laurent Mazure