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Un Harris peut en cacher un autre

L’été 1934 marque un tournant pour le Racing Club de Lens qui entame sa première saison en tant que club professionnel dans le championnat de deuxième division. Soutenus financièrement par la Compagnie des mines de Lens, les dirigeants lensois confient les rênes de l’équipe fanion à un certain Jack Harris.

RC Lens 1934 1935
RC Lens 1934-1935
Photo rclens.fr

Le RC Lens se livre en 1934 à un jeu nouveau pour lui, celui du recrutement de joueurs pro. Ainsi, des noms tels que Camille Salas, Gildo Rizzo, Albert Hus, Janos Walter, et bien d’autres encore font leur apparition cette année-là. Une autre tâche cruciale pour les dirigeants Lensois est de trouver un entraîneur pour guider tout ce petit monde. Plusieurs offres arrivent rapidement sur le bureau des dirigeants. Écartant la candidature de George Kimpton, un Britannique relativement méconnu, fervent adepte de la tactique du WM, et qui connaîtra le succès au RC Paris, les dirigeants préfèrent opter pour un profil plus local. Ils se tournent vers un autre Britannique, Jack Harris, qui connaît bien le football régional pour avoir évolué au Stade béthunois, aujourd’hui entraîné par un certain Jean-Guy Wallemme.

Jack Harris n’aura malheureusement guère l’occasion d’exercer longtemps ses talents. Après seulement cinq séances d’entraînement, les dirigeants lensois décident de le remplacer par le Belge Robert De Veen, ancien entraîneur de L’Olympique lillois. Cette décision laisse entendre que ce coach, qui n’a connu qu’une seule expérience en tant qu’entraîneur-joueur au Stade béthunois, n’a pas su convaincre. Qui était-il ?

Dès les premières recherches, un problème apparaît immédiatement. Selon plusieurs sources, ce Jack Harris serait Écossais. Né le 5 novembre 1891 à Glasgow, il aurait évolué dans des clubs prestigieux comme Burnley, Bristol, Leeds et Fulham, avant de rejoindre le Stade béthunois. Pourtant, le Jack Harris que l’on retrouve à Béthune est bel et bien un joueur anglais, et non écossais. Il semblerait qu’il ait été injustement confondu avec un homonyme. Partons donc à sa recherche pour lever le voile sur sa véritable identité.

Le véritable Jack Harris

Jack Harris
Jack Harris
Photo Gallica

Né le 11 novembre 1894 à Liverpool, dans le quartier de Kirkdale, Jack Harris est le fils de John Edward Harris et d’Elizabeth Johnson. À l’âge de 10 ans, il fait ses premiers pas sur un terrain de football avec son école, et dès 13 ans, il est sélectionné à plusieurs reprises pour représenter sa ville. En 1914, à seulement 20 ans, il rejoint les rangs de la 55e division de l’armée britannique pour combattre les Allemands en France. Il fait la rencontre, pendant le conflit, de Maria Félicie Saniez, une Française, qu’il épouse le 3 décembre 1917 à Bayenghem-lès-Éperlecques. Le 9 avril 1918, il est blessé à Festubert, à quelques kilomètres de Béthune, mais retourne dans son régiment d’infanterie dès le mois de juin. Il est fait prisonnier à Violaines trois mois avant l’armistice. Libéré à la fin de la guerre, il retourne en Angleterre, avec son épouse.

Après la guerre, Jack joue pour différents clubs anglais, notamment Bury South Liverpool, New Brighton et Luton Town, au poste de demi-centre. En 1921, pour remédier au mal du pays de Mme Harris, le couple revient en France et s’installe dans la petite ville de Beuvry. Jack signe alors au Stade béthunois. Par un heureux hasard, il devient également gardien du cimetière anglais de Festubert, dans le secteur même où il avait été blessé pendant la guerre, protégeant ainsi les tombes de ses camarades tombés au combat.

À cette époque, la colonie de joueurs anglais dans les championnats régionaux n’est plus très appréciée, car au-delà de leur supériorité technique, leur présence remet en cause l’esprit d’amateurisme des compétitions. Malgré une première année difficile, Jack parvient à s’imposer et devient un membre important de son équipe. Après dix longues années de fidélité au Stade béthunois, il raccroche les crampons. Il ne sait pas encore qu’il finira à Lens, le club qui monte.

Well, j’ai premièrement signé pour le Stade béthunois en 1921 et il est maintenant 1931. Je dis encore : vive le Stade et vive la Ligue du Nord.

Jack Harris
Jack Harris
Photo Gallica

La relève

Jack Harris et Maria Saniez ont eu quatre enfants :

  • John, né en 1919 en Angleterre.
  • Elizabeth, née le 21 février 1918 à Bayenghem-lès-Éperlecques (décédée très jeune).
  • Gustave, né le 14 juillet 1921 à Bayenghem-lès-Éperlecques.
  • Violette, née le 20 mars 1925 à Beuvry.
Gustave Harris
Gustave Harris
Photo Gallica

Jack a rapidement discerné chez son seul fils, le jeune Gustave, un talent naturel pour le football, et il l’a accompagné dans sa formation. Son nouvel objectif est de voir son rejeton lui succéder dans l’équipe première de Béthune. Grâce à une formation exigeante, il a brillamment réussi son pari, puisque Gustave a intégré le onze du Stade béthunois, pour même en devenir le capitaine. Il a remporté les titres de champion de France amateur en 1937/1938 et en 1948/1949, ainsi que celui de champion du Nord de division d’honneur en 1946/1947, inscrivant ainsi l’une des plus belles pages du palmarès béthunois.

Jack Harris, éphémère entraîneur du RC Lens, a incarné l’esprit du football amateur, mêlant passion et dévouement. Son engagement sur le terrain et en dehors a ouvert la voie à une nouvelle génération, symbolisée par son fils Gustave, pérennisant ainsi un héritage familial et sportif qui a marqué l’histoire du Stade béthunois.

Sources :

  • Archives du Pas-de-Calais
  • 50 ans de football dans le Pas-de-Calais par Olivier Chovaux
  • Plaquette souvenir du cinquantenaire du Racing Club de Lens
  • Paris-Soir, 20 décembre 1938
  • Sports Éclair, 11 août 1947
  • Le Miroir des sports, 4 janvier 1927
  • Les Sports du Nord, 23 novembre 1931
  • L’Histoire du football nordiste par Paul Hurseau
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