Moment décisif dans la saison que ce derby au stade Bollaert-Delelis. Deux clubs qui luttent pour les places européennes, et évidemment deux rivaux régionaux qui n’ont aucune envie de lâcher des points à l’autre. Nous avons demandé à un supporter lillois de toujours, Timothée Boutry, journaliste au Parisien spécialisé dans les faits divers (@timboutry), son opinion sur ce choc Lens-Lille.
Comme au match aller, c’est Lens qui est devant au classement. À Lille, vous aviez perdu l’habitude. Comment vous voyez le renouveau lensois sous Franck Haise ?
Comme une bonne nouvelle. Je fais partie des gens qui ne sont pas anti-Lens. Lens peut être deuxième : du moment que Lille est premier, ça me va. C’est un grand club, et il y a quelque chose de sympa qui est en train de se passer. Ça joue, c’est enthousiasmant à regarder. C’est plus intéressant si les derbys sont disputés, pour le football nordiste en particulier, mais pour la Ligue 1 en général. Quand il y a cette rivalité, ça nous fait parler, nous supporters, longtemps avant, et longtemps après. Je préfère que Lens soit en L1, et quand en plus il y a un gros enjeu au classement, avec deux équipes qui visent l’Europe, c’est encore mieux pour tout le monde.
Cette saison le LOSC alterne le très bon et le moins bon. Le niveau de jeu n’est pas toujours au niveau qu’attendent les supporters. Comment expliquer cette inconstance ?
Je trouve qu’au contraire le niveau de jeu est là, mais ce sont les résultats qui ne suivent pas. On domine largement certains matchs pour ne prendre qu’un point, voire les perdre. C’est une saison de frustration, si on regarde le classement. Mais le jeu sous Fonseca est plaisant. On joue tout le temps, on ressort de derrière, il y a un déséquilibre assumé vers l’avant. Si on oublie Lille-Brest, qu’on gagne en jouant moins bien, ce qui domine c’est la satisfaction face à ce que propose l’équipe. On a été écoeuré par la défaite injuste à Paris, où on a dominé cette équipe, et où c’est le meilleur joueur du monde qui scelle le score en n’ayant rien fait jusqu’aux arrêts de jeu. Mais au-delà de la déception, on peut se dire que les gens qui ont regardé ce match ont vu que Lille jouait très bien. Même en menant au Parc, on a continué à le faire. Le problème, c’est qu’on n’a pas les points. Mais quand on repense à ce qu’on voyait avec Gourvennec… En plus, les supporters ne lui pardonneront jamais d’avoir perdu trois fois contre Lens la même saison.
Comment se présente ce déplacement, avec une défense diminuée ?
C’est effectivement le problème, avec Ismaily qui est forfait pour un certain temps. On peut imaginer Weah latéral droit, et Gudmnunsson à gauche qui a très peu joué. Je ne sais pas s’il a un match complet dans les jambes. Donc probablement, on va se présenter avec un attaquant d’un côté, et de l’autre un défenseur longtemps blessé, et qui de toute façon n’est pas un cadre dans cet effectif. Tiago Djalo peut aussi dépanner sur le côté, même si je ne le trouve pas extraordinaire dans ce rôle. En défense centrale en revanche il y a tout ce qu’il faut.
Que pensez-vous de Paulo Fonseca, qui est suspendu pour ce match, et qui a menacé de partir à un moment dans la saison ?
Entre Olivier Létang et lui je ne sais pas ce qui se passe, mais on voit que Fonseca, qui voulait un latéral au mercato, avait raison. L’entraîneur est vraiment apprécié des supporters. Ses interviews sont géniales, quand il dit que l’équipe est là pour apporter du plaisir, qu’il a déjà été plus frustré après certaines victoires que certaines défaites. Et c’est bien de voir que les joueurs adhèrent. On assume de prendre des risques, on n’est pas là pour gérer. Personne ne comprendrait s’il ne restait pas, parce qu’il construit déjà quelque chose d’intéressant. À Lille, on a connu le succès avec des entraîneurs qui sont restés longtemps: Vahid Halilhodzic, Claude Puel, Rudy Garcia, Christophe Galtier. Ils ont structuré le club. Chaque fois qu’on laisse à un coach le temps de mettre en place ses joueurs, c’est beaucoup mieux. Et donc on espère que Fonseca aura plus de latitude au prochain mercato.
Lille et Lens sont détenus par des financiers, mais avec des profils et des projets sportifs très différents. Ce n’est pas frustrant de voir le club d’Alain Fiard ou Djezon Boutoille être devenu un spécialiste du trading de joueurs ?
Généralement c’est l’évolution du foot, l’économie de ce sport qui est faite comme ça aujourd’hui. Ça n’empêche pas qu’un Benjamin André ait resigné, lui qui est très bon et qui colle à l’esprit. Il y a quand même des joueurs qui restent, et puis d’autres comme Osimhen qui font une seule saison. Mais on n’est plus à l’époque où c’était un festival de déficits. Le LOSC bâtit à plus long terme. Jean-Michel Vandamme est revenu au centre de formation, et c’est une fierté chez les supporters de voir un gardien formé au club, Lucas Chevalier, ou un Leny Yoro qui peut être titulaire en défense centrale à 17 ans. On ne se souvient plus depuis quand on n’avait pas eu deux jeunes joueurs formés au LOSC qui jouaient à ce niveau en équipe première.
Quand on vous dit Bollaert, vous pensez spontanément à quoi ? Aux derbys ou aux matchs où c’était le stade du LOSC en Ligue des champions ?
Je pense au public, à la ferveur, aux Corons, au stade presque plein en Ligue 2. Évidemment, cette Ligue des champions qu’on joue à Lens, ça reste un grand souvenir. J’étais allé aux trois, et c’est certain que c’était incroyable de parcourir le centre-ville avec son écharpe rouge et blanc pour aller au stade. Ça devait être très difficile pour les Lensois. Mais non, je pense aux derbys, aux grosses ambiances que ça amène.
Dans les affluences à domicile, Lens et Lille rivalisent. Mais alors que la France entière cite le public de Bollaert en exemple, Pierre-Mauroy est réputé comme assez froid. Qu’est-ce qui manque au LOSC pour avoir la même ambiance ?
Ce n’est pas la même sociologie, pas la même histoire, pas le même bassin de population. La culture du supportérisme est plus forte à Lens. Je ne vais pas m’appesantir là-dessus mais quand on dit qu’il y a moins d’alternatives à Lens, c’est vrai, et ça a donné un attachement plus naturel au club de foot, dans une région qui a ses spécificités, ce métier de mineur qui ne ressemblait pas aux autres, une histoire sociale dans laquelle le football est mieux ancré. À Lille, que ce soit à Grimonprez ou au Grand Stade, il n’y a jamais eu une culture comme celle-là. Les DVE se sont étoffés, il y a quand même une ambiance, beaucoup d’abonnés, mais ce ne sera jamais Anfield ou Bollaert. Il n’y a qu’un seul Lens, et l’idée n’est pas de copier, mais il n’y a pas cette culture du chant, des tribunes qui reprennent toutes Les Corons. Le LOSC a toujours, lui aussi, un public populaire, mais le RC Lens dans le bassin minier pèse d’un poids qu’on ne peut pas imaginer pour le LOSC dans la métropole lilloise.
Un pronostic ?
Il y a un enjeu sportif très fort, parce que si on gagne on revient à portée de Lens. Trois ou neuf points d’écart, ça n’aura rien à voir. On n’oublie pas non plus qu’on a été les seuls à vous battre lors de la phase aller, et que depuis quelques semaines ce n’est pas le meilleur moment de la saison pour Lens. Pour moi, on gagne, 2 à 1.