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Le Racing, champion de l’image de marque

Si les Lensois sont sur le podium de la Ligue 1, le Racing est probablement en tête du classement du storytelling. Car ce Racing 2025/26 a beaucoup d’histoires à vendre. Et les médias les achètent toutes. Un enjeu peut-être plus important qu’il n’y paraît.

Le Racing au centre de l’attention des médias
Photo CSO

Un bon storytelling – désolé pour l’anglicisme – suppose une bonne histoire. Avec le Racing, il y a des histoires qu’on connaît depuis tout petit. L’histoire de Lens, cette ville de 32 000 habitants qui n’aurait que le football. L’histoire aussi de ce club dont les joueurs étaient « des mineurs de fond », généreux dans l’effort. Et Bollaert, cet antre magique pour magnifier le jeu et l’ambiance. Qui connaît le football et ne connaît pas la chanson de Pierre Bachelet ?

Ces trois mythes impérissables, Lens, la mine, Bollaert, le club peut les ressortir chaque année et capitaliser dessus pour se rendre sympathique et attractif. Cependant le storytelling nécessite de proposer de nouvelles histoires chaque saison. Et parmi celles qui ont surgi en 2025, on pourrait en lister trois.

Leca, le corse

La première belle histoire depuis cet été est celle de Jean-Louis Leca, gardien emblématique du club à qui est confié le poste de directeur sportif juste avant le mercato. Toute une chronique développée autour d’un homme qui n’avait, a priori, pas l’expérience ni les compétences, et qui a dû lancer son recrutement sans attendre, car arrivé en dernière minute pour remplacer Diego Lopez. Avec toute sa sincérité, Jean-Louis Leca admettra, en plus, ne pas avoir eu le temps de voir toutes les vidéos disponibles sur les joueurs que le club a recrutés. Mais il dira s’être concentré sur la personnalité des hommes et sur le fait de choisir « des capitaines ». Et il indiquera avoir parlé du club et du projet de jeu avant le salaire, pour que les joueurs se projettent sur ce qui serait attendu sur le terrain et sur le côté familial. Et ainsi s’assurer de ne pas faire venir de mercenaires.

L’aura de Leca ne fait que grandir quand, interrogé sur RMC, il découpe les dirigeants de l’AJA à la suite du fiasco du dossier Sinayoko. Une interview anthologique avec des mots forts — « ce n’étaient pas des hommes » — et le détail qui fait mouche : les pourparlers au McDo de la zone d’activité d’Auxerre, tranchant avec le bling bling de certains clubs de Ligue 1. À travers ce qui finalement devient une anecdote, car il parvient ensuite à recruter un très bon attaquant, il vend une image de lui-même et du club qui dit : j’ai une parole, je suis sincère, je fais confiance aux gens, et le football se porterait mieux si tous les autres se comportaient comme moi.

« You talkin’ to me ? »
Photo CSO

Aujourd’hui, Auxerre est dernier du championnat, Lassine Sinayoko fait une saison moyenne, et l’attaquant de pointe auquel Lens a accordé sa confiance, Odsonne Édouard, marche sur l’eau. Le karma, serait-on tenté de penser. Cette histoire, celle du directeur sportif qui réussit son mercato avec sa propre méthode, à l’ancienne, sans grosses valises de billets, basée sur la confiance réciproque avec ses interlocuteurs, Lens pourra la vendre toute la saison. Et si en plus il distille quelques piques bien senties, les médias se régaleront.

Sage, l’homme du foot amateur

La deuxième histoire de cette saison est celle de Pierre Sage. Voilà un excellent entraîneur qui aurait été victime de John Textor et de ses décisions erratiques. Un homme que le monde du football aurait sous-estimé, manager simple, humble, authentique, subtil et travailleur. Celui qui vient de Belley et du monde amateur. Un homme qui cultive une image de philosophe au calme olympien, distillant comme un professeur d’université sa science tactique dans les vestiaires et au micro des journalistes. Stade 2 a acheté les droits de cette histoire et intitulé sobrement le reportage : « Pierre Sage, la force tranquille ». D’autres continueront de l’entretenir, surtout si L’Équipe continue de lui distribuer les 7 et les 8/10 à chaque bon résultat de sa formation.

Thauvin, le champion du monde

La troisième histoire de cette saison est évidemment celle de Florian Thauvin. Un garçon qui se serait perdu au Mexique, qui serait resté en dehors des radars dans le « petit » club de l’Udinese (là où évoluait un certain Seko Fofana) et que le Racing, et surtout Jean-Louis Leca, seraient allés tirer des limbes. Comme Pierre Sage et Jean-Louis Leca peut-être : un crack dont on aurait sous-estimé la valeur et les compétences, alors qu’à 32 ans, il avait encore de l’énergie à revendre. Il régale à nouveau sur les pelouses de Ligue 1, jusqu’à se faire élire par l’UNFP joueur du mois de septembre. Et surtout il retrouve l’équipe de France ! Les médias raffolent de cette saga, celle des champions du monde 2018. Si sa motivation reste intacte et sa régularité s’améliore (même contre les équipes plus faibles), l’histoire de Flotov pourrait tenir en haleine les journalistes toute la saison. Car ils ont installé un suspense : la Coupe du monde aux États-Unis, ira, ira pas ? On veut savoir s’il a une chance ! Cela passe, évidemment, par une grande saison dans notre championnat, que tout le monde lui souhaite, Lensois ou non.

Et tous les autres…

À travers Jean-Louis Leca, Pierre Sage et Florian Thauvin, le Racing Club de Lens est une mine de sujets pour les médias sportifs. Nous pourrions également citer Malang Sarr, joueur attachant dont la carrière a été compromise par l’argent sale de Chelsea et qui est relancé, de manière tonitruante, par son coach alors que le club avait envisagé son départ. Il a une tête de gendre idéal quand il vient avec son impeccable costume trois pièces dans le club Ligue 1+.

En parlant de gendre idéal, Robin Risser a aussi un profil pour plaire aux caméras. Qui plus est, le « méchant » Racing Club de Strasbourg, un nouveau riche, devenu usine à développer des talents éphémères destinés à se perdre plus tard parmi l’armée mexicaine de Chelsea, l’a rejeté en le revendant à un prix ridicule au vu de son potentiel. Il a 20 ans, il prend un plaisir évident sur le terrain et il sourit quand on lui tend le micro : encore un joueur que le vrai Racing a sauvé du méchant capitalisme qui gangrène le football. Une belle morale.

Nous pourrions citer aussi Benjamin Parrot. Quel sera le premier média qui fera sur lui un long reportage pour raconter son ascension dans le monde du football pro ? Et pourquoi pas revoir des articles sur Pierre Capitaine, analyste vidéo encore inconnu il y a trois semaines de cela ? Si vous n’avez pas encore entendu louer son travail à la Gaillette sur les coups de pied arrêtés, cela veut dire que vous coupez le son. Un jour aussi peut-être les médias nationaux viendront voir l’intendant du club, Pascal Boulogne dit « Boubou ». Avec sa longue barbe et sa tresse, il a une « gueule » qu’on dirait sortie d’un album d’Astérix, et une sympathie communicative qui colle à l’image projetée par son employeur. Il a probablement des centaines d’anecdotes sur les joueurs à raconter.

Et pourquoi pas espérer qu’un jeune se révèle lors de cette saison ? Est-ce que ce sera Bermont, Sylla, Ganiou, Fofana ou Bulatović ? Les commentateurs de Ligue 1+ parlent de leur gros potentiel à chaque entrée en jeu ou titularisation. Car les médias cherchent toujours le futur Raphaël Varane.

Derrière toutes ces histoires revient ce que le Racing cherche à vendre de lui-même : un club à l’image de ses salariés et supporters, authentiques et travailleurs. Deux qualités qui font résonner bien des échos au fond de chaque amoureux du RC Lens.

Faire fructifier le capital sympathie

Dans un contexte où les droits télévisés sont réduits à peau de chagrin, en attendant que Ligue 1+ poursuive son ascension, les ressources apportées par les actionnaires et les sponsors deviennent prépondérantes. Cependant, Joseph Oughourlian a répété son intention de ne pas remettre au pot, lui qui l’a déjà beaucoup fait. Alors il faut des sponsors.

Ces histoires de storytelling qui peuvent paraître accessoires… Peut-être ne le sont-elles pas. Aujourd’hui, grâce à l’image que renvoie le RC Lens, il y a possiblement de quoi attirer des partenaires de prestige, voire de nouveaux actionnaires, qui voudraient s’associer à la réussite du club et au travail de fond de ceux qui le font gagner au quotidien. C’est un enjeu crucial que de développer une image, un capital sympathie et ensuite savoir monétiser cet actif immatériel. Nul doute que Benjamin Parrot et Joseph Oughourlian ont les compétences pour le faire. In fine, c’est toujours l’argent qui dirige le football.

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