Si l’on insiste pour mettre en contexte les performances des footballeurs, une dimension est trop souvent négligée parmi les facteurs expliquant les performances collectives et individuelles : la psychologie. Lydie Huyghe, psychologue clinicienne à l’Institut Neurosport de Liévin, nous éclaire sur quelques outils qu’elle emploie.
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« Il est nul ! « Une chèvre ! » « Erreur de casting… Faut le vendre ! ». Toutes ces expressions sont monnaie courante dans le supportérisme, et s’entendent régulièrement dans un stade de football. Mais l’expression violente de la frustration du supporter a un impact sur la psychologie du joueur ciblé. Depuis les tribunes, on se rend rarement compte du niveau de pression que subissent les joueurs de football de haut niveau. « Ils ne font pas du sport comme vous et moi. Ils exercent une discipline sportive. Toute la vie d’un sportif de haut niveau est régentée par la performance. Il faut bien dormir, il faut bien manger. Il faut s’interdire ceci, cela. Tout cela met une pression qui vient s’ajouter à celle que se met le sportif lui-même, et qui s’ajoute à celles mises par le club, l’entourage, les supporters, sans parler des réseaux sociaux qui sont venus s’ajouter au mille-feuilles », nous explique Lydie Huyghe.
La parole commence à se libérer. Il n’y a qu’à se rappeler des déclarations de Jonathan Clauss, qui avouait sur le site de SoFoot qu’il s’interdisait de pleurer à une époque. Se l’autoriser enfin, « ça m’a fait un bien fou », reconnaissait-il. Plus récemment, c’est Thierry Henry qui a accepté de dévoiler une réalité cachée derrière son accumulation de titres. « J’ai longtemps menti, parce que la société n’était pas prête à entendre ce que j’avais à dire. J’ai été en dépression pendant ma carrière, et je n’ai rien fait pour en sortir. » L’émission de la chaîne Youtube The Diary of a CEO, diffusée le 8 janvier, a été largement commentée à sa sortie. Faisant l’effet d’une bombe, elle pourrait servir à nourrir le mouvement de libéralisation de la parole.
« Il y a beaucoup plus de dépressions que l’on ne l’imagine », poursuit Lydie. « Je vois beaucoup de jeunes sportifs qui viennent me voir. C’est un milieu par essence impitoyable. Si vous ne faites plus l’affaire, ou quelqu’un de meilleur arrive à votre place, tout s’arrête du jour au lendemain. Sur l’accompagnement de la performance, la France est plutôt bien structurée avec de nombreux centres. Mais à mes yeux, il faut encore développer l’accompagnement psychologique. »
Travail sur le long terme
Le RC Lens est connu pour ses méthodologies de travail innovantes. Dans la préparation physique, tactique mais aussi mentale. Depuis quelques saisons déjà, des cours de yoga sont proposés aux joueurs ainsi qu’à l’ensemble du staff. « C’est génial ce que fait le RC Lens à ce niveau. Intégrer des séances de yoga aux entraînements sans que ce soit une obligation. C’est Anne Lejot, qui est aussi professeure à l’université des sports de Liévin, qui a mis cela en place. C’est un outil qui permet d’apporter quelque chose d’autre aux joueurs qui en ont besoin. »
La fin de la phrase est clef. Parce que non, tout le monde n’a pas besoin de séances de yoga, voire même d’un suivi psychologique. Ces pratiques vont chercher des réponses à des problématiques intimes, et sont à individualiser. Lydie Huyghe nous présente sa spécialisation, et les bénéfices que peuvent en retirer ses patients : « Je suis psychologue clinicienne, et j’utilise beaucoup d’outils qui sont très utilisés au Canada et aux États-Unis, comme le neurofeedback ou le neurotracker ». Ces termes scientifiques, Lydie Huyghe nous les explique avec pédagogie.
« Tout commence avec un entretien d’introduction avec le sportif. Parfois, la demande vient de l’entraîneur, qui connaît son joueur et la problématique, et sur laquelle il n’arrive pas à intervenir. Parfois, l’initiative vient du joueur lui-même. À partir de la problématique, on identifie les outils qu’on va utiliser. Pour être concrète, il y a l’exemple type du joueur de football très bon à l’entraînement et qui n’arrive pas à répéter ses performances en compétition. On fait ici face à l’anxiété de performance, conséquence d’une perturbation, d’une inhibition. Pour vous donner quelques notions, sachez que dans notre organisme, nous disposons de deux systèmes nerveux : le central, ou le cerveau ; et l’autonome, à savoir les nerfs. Le système autonome est, lui, divisé en deux catégories : le sympathique et le parasympathique. Le sympathique, c’est celui qu’on active, qui va permettre de réagir rapidement, de se mettre en action sur le terrain pour un joueur de football. Parfois, il arrive que le système soit un peu trop actif, sans que cela ne soit souhaité. Cette suractivité peut générer des effets connus de tous, comme les mains moites, qui peuvent aller jusqu’à la tachycardie. » Et le parasympathique, donc ? « C’est la pédale de frein. Pour les sportifs qui vont rencontrer une anxiété de performance, on va utiliser le biofeedback et passer par le système parasympathique. L’objectif est que les exercices réalisés en partenariat avec le joueur, et parfois l’entraîneur, aient des effets sur le long terme, si possible de manière pérenne. »
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Cette pérennisation est, comme dans tout travail de fond, la clef. Le risque étant de chasser le naturel avant qu’il ne revienne au galop. « L’outil biofeedback n’a rien de magique. Si on traite le psychisme, il faut également traiter le physiologique. Ce n’est pas parce que l’on a compris que l’on a un problème que le problème se règle de lui-même. Si vous avez un comportement qui est ancré dans vos habitudes depuis plusieurs années, le changement ne peut s’opérer instantanément. Le sportif peut ressentir un soulagement momentané, mais le processus demande du temps. »
Lydie Huyghe parle également de la récupération permise par le sommeil. « Quand un joueur fait une performance, il faut aussi apprendre à redescendre émotionnellement. Il est très fréquent que les sportifs de haut niveau fassent des nuits blanches après une rencontre à haute charge psychologique ». Un constat que les supporters comprendront facilement. Celui qui lit ces lignes se souviendra de la difficulté de trouver le sommeil après la retentissante victoire contre Arsenal, entre autres.
Enfin, il y a ceux qui n’ont pas de problèmes particuliers, et font avant tout appel aux neurosciences pour améliorer des performances. « C’est souvent le cas des gardiens de but. À l’aide de neurotrackers, on peut améliorer le champ visuel, la rapidité d’exécution ou les réflexes ». Entre leviers pour libérer les forces et gains marginaux au service des joueurs, la psychologie se doit d’être considérée comme centrale dans le football de 2024. Aussi bien dans la préparation que dans l’analyse des résultats.