CULTURE SANG & OR

Fruleux, père et fils

Avant-centre combatif et entraîneur passionné, Arthur Fruleux a traversé les tourments de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale sans jamais renier ses racines nordistes. Son parcours, lié à celui de son fils Pierre, illustre la transmission de l’amour du ballon rond. Retour sur le destin d’une famille dont le nom résonne encore dans le Nord-Pas-de-Calais.

Arthur Fruleux - RC Lens 1943 - 1944
RC Lens 1943 – 1944
@ RCL

Des débuts convaincants

Arthur Eugène Fruleux est né le 30 avril 1915 à Bruay-en-Artois. Fils d’un militaire, il ne connaîtra jamais son père, mort pour la France en 1918 alors qu’il n’a que trois ans. Élevé par sa mère, Berthe Blanche Orcamps, il fait ses débuts dans le monde du football dès son entrée au collège. Il devient rapidement capitaine de son équipe et décide de se consacrer à une carrière d’avant-centre. Il rejoint ensuite l’équipe première de l’US Bruay, où il s’impose rapidement, avant d’effectuer son service militaire à la base 104 du Bourget, au nord de Paris.

Arthur Fruleux
@ Gallica

Il joue alors avec la Jeunesse athlétique de Saint-Ouen, jusqu’à ce que l’officier chargé des sports de la base 104 remarque ses qualités d’attaquant et l’intègre à l’équipe militaire. Il évolue alors aux côtés de Paul Delacourt (Amiens), Roger Couard et Maurice Dupuis (Racing Club de Paris), ainsi que de Robert Ségaux (Red Star). Cette année-là, ils sont éliminés du championnat de France militaire par le 3e Génie à Amiens.

C’est Robert Tassin, joueur du Racing Club de Paris et natif d’Arras, qui signale Arthur Fruleux aux dirigeants du RC Arras. Il y effectue un essai lors d’un match face à Sochaux. L’essai est concluant, et il signe son premier contrat professionnel avec le RC Arras, où il retrouve notamment un ancien Lillois, le Britannique Andrew Higgins.

La guerre des mines

Son père, le sergent Arthur Gustave Fruleux, né le 8 janvier 1894 à Bruay, est mort pour la France le 8 août 1918 à Ciry-Salsogne, dans l’Aisne. Il fait partie de ces soldats tombés dans l’oubli, victimes de l’une des tragédies méconnues de la Première Guerre mondiale : la guerre des mines, où en l’occurrence on a extrait du calcaire, et qui sont devenues des abris près du front.

Ce 8 août 1918, aux alentours de 22h30, une violente explosion secoue la terre entre les villages de Serches et de Ciry-Salsogne, dans l’Aisne. Le sol calcaire vibre sous l’impact, et très vite, on comprend ce qui vient de se passer : l’abri était piégé. Dans les profondeurs, une galerie creusée dans la roche s’effondre brutalement. À l’intérieur, près de 189 hommes, soldats du 54e régiment d’infanterie et sapeurs du 9e génie, sont ensevelis. Le calme qui suit l’explosion ne fait que renforcer l’horreur de la situation.

8 aout 1918 - Ciry-Salsogne
Les oubliés du 8 août 1918, Ciry-Salsogne – Serches
@ Ciry Info

Après la deuxième Bataille de la Marne, quand les troupes allemandes battent en retraite, les unités du génie laissent derrière elles de nombreuses charges explosives, difficiles à repérer et potentiellement dévastatrices. Celle de Ciry-Salsogne s’avérera être l’une des plus meurtrières.

Le sergent Fruleux est honoré de la médaille militaire et de la croix de guerre à titre posthume pour sa bravoure. Dans le Journal officiel, on peut lire :

Sous-officier énergique et brave, s’étant fait remarquer en maintes circonstances par sa brillante conduite au feu. Tombé glorieusement pour la France le 8 août 1918, près de Ciry-Salsogne.

Les débuts en pro

En 1937, après un titre de champion de D3, Arras évolue pour la première fois de son histoire en seconde division. Arthur fait d’énormes progrès et ne tarde pas à marquer de nombreux buts. Pour sa première année en tant que professionnel, il termine deuxième au classement des buteurs, permettant ainsi à Arras de finir à une très belle sixième place.

Arthur Fruleux
@ Gallica

« La valeur n’attend pas le nombre des années » : telle pourrait être la devise d’Arthur Fruleux. En 1938, il continue son ascension et prend la direction du Red Star, à Saint-Ouen, une région qu’il connaît bien. Combatif et déterminé, Arthur Fruleux ne tarde pas à se forger une solide réputation. Ce grand garçon athlétique (1,75 m pour 75 kilos), d’allure plutôt timide, a su s’attirer les sympathies d’un public audonien réputé exigeant, malgré son fort accent qui ne laisse aucun doute sur ces origines.

Marié à Gilberte Augustine Edmont le 6 février 1937 à Béthune, il accueille son premier enfant le 6 septembre 1938. Gilberte donne naissance à Pierre Daniel Fruleux à Saint-Ouen.

Dans la vie civile, Arthur Fruleux a toujours exercé un métier en parallèle de sa carrière sportive. Dans le Nord, il travaillait à la compagnie d’électricité L’Artésienne. Il officie désormais comme vendeur dans un magasin d’articles de sport.

Tutur, comme le surnomment affectueusement les supporters du Red Star, réalise une superbe première saison en inscrivant pas moins de 29 buts. Champion de deuxième division 1939, le Red Star rejoint l’élite du football français. S’ensuit alors la première des six saisons de guerre. La mobilisation générale est décrétée, et de nombreux clubs cessent leurs activités. Arthur, désireux de retourner dans sa région natale, est alors prêté au RC Lens.

L’Occupation

Pendant la période de guerre, Arthur Fruleux passe quatre saisons au RC Lens, un club qui continue de jouer malgré les bouleversements liés au conflit.

Lors de la saison 1940-1941, avec l’occupation allemande, le sport passe un temps au second plan. Mais dès le mois de novembre, la Ligue du Nord met en place une compétition régionale. Le RC Lens constitue alors une équipe composée de quelques anciens restés fidèles au club, Siklo, Ourdouillie, Pachurka, François, Lewandowski, ainsi que quelques nouveaux, dont Arthur Fruleux, qui a préféré rester dans sa région natale. Lens remporte facilement le championnat de la zone interdite, tandis que le Red Star, l’autre club d’Arthur, s’adjuge le championnat de la zone occupée.

La saison suivante, 1941-1942, voit peu de changements. Le RC Lens domine une fois de plus et conserve son titre de champion de la zone interdite.

La saison 1942-1943 marque une évolution : il devient désormais possible de voyager entre la zone occupée et la zone interdite, ce qui redonne un souffle nouveau au football français. Deux poules sont mises en place, Nord et Sud. Le RC Lens s’impose à nouveau en tête de la zone Nord, avec 13 points d’avance sur le FC Rouen.

En 1943-1944, Arthur Fruleux intègre l’Équipe fédérale Lens-Artois, une formation regroupant principalement des joueurs lensois, constituée dans le cadre du nouveau système instauré par le régime de Vichy pour le sport de haut niveau. L’équipe remporte le championnat fédéral mis en place à cette époque.

Le conflit RC Lens-Red Star

Lors de la saison 1944-1945, la dernière de l’ère dite « championnat de guerre », un conflit éclate à l’occasion du match opposant le Red Star au RC Lens à Saint-Ouen, en novembre. À la surprise des dirigeants audoniens, Arthur Fruleux figure dans les rangs lensois. Le Red Star rappelle que le joueur lui appartient depuis 1938, affirmant que le RC Arras l’avait cédé régulièrement à cette date. En août 1942, lorsque Fruleux a été prêté au RC Lens en raison des circonstances liées à la guerre, il avait été convenu qu’il serait restitué dès que la situation le permettrait. Le club réclame donc son retour. Et la FFF, appelée à trancher, confirme qu’Arthur Fruleux est affilié au Red Star.

Si Lens veut l’utiliser, qu’il nous paie le transfert.

Heureusement l’affaire se règle rapidement. Fruleux, très attaché à sa région natale, exprime son souhait de rester dans le Pas-de-Calais, et le RC Lens négocie pour régulariser sa présence dans l’effectif.

Sur le terrain, le temps fait son œuvre, Fruleux commence à perdre en souplesse et en spontanéité. Ses qualités d’avant-centre, autrefois éclatantes, deviennent plus discrètes. Il recule alors d’un cran et évolue désormais au poste d’intérieur. Le RC Lens termine cette saison à une solide deuxième place du groupe Nord, juste derrière le FC Rouen.

Fin de carrière

Arthur Fruleux Stade Français 1945 - 1946
Stade Français 1945 – 1946

Après une saison au Stade Français en 1946, au cours de laquelle il remporte un titre de vice-champion de France de D2 et atteint la demi-finale de la Coupe de France, Arthur Fruleux souhaite se retirer à Lens pour exercer comme commerçant. Finalement, il se laisse convaincre et rejoint le club picard de Saint-Quentin en tant qu’entraîneur-joueur, emmenant avec lui un ancien camarade lensois, Lazare Gianessi. Pour cette première expérience d’entraîneur, il adopte la tactique anglaise du WM (3-2-2-3).

Mes joueurs se sont très bien acclimatés au WM et ils remportent facilement tous leurs matchs de promotion. Dimanche dernier, en coupe, nous avons battu Braux 5 à 0. Nous serons de nouveau rattachés au groupement professionnel en fin de saison.

En février 1948, Arthur Fruleux décide de racheter un fonds de commerce de débit de boissons, situé au 73 rue Raspail à Saint-Quentin. Tout en poursuivant ses activités hors du terrain, il reprend la compétition en 1949 en rejoignant l’équipe des Tigres Vendéens, aux Sables-d’Olonne, qui évolue en Division d’honneur Centre-Ouest. Deux ans plus tard, en 1951, il traverse la France pour s’installer en Bourgogne, où il intègre le club de Cuiseaux, également en Division d’Honneur, et y reste plusieurs années. C’est à Cuiseaux qu’il se remarie avec Jeanne Juliette Louise Richard, le 25 octobre 1965. Arthur Fruleux s’éteint finalement aux Sables-d’Olonne le 31 août 1992, à l’âge de 77 ans.

La relève

Souvenez-vous de son fils, Pierre, né à Saint-Ouen en 1938. Installé dans le Nord, il est devenu l’une des figures emblématiques du Stade béthunois dans les années 1970. Capitaine de l’équipe première du temps où il était joueur, il a également occupé pendant de nombreuses années le poste de concierge du centre sportif. En hommage à son engagement, un terrain synthétique du complexe sportif de Béthune porte aujourd’hui son nom. Lors de son inauguration, le 30 juin 2012, un match de gala a réuni, comme un clin d’œil au passé, les anciens du RC Lens et de l’Olympique de Marseille. Pierre Fruleux s’est éteint le 7 avril 2011 à Beuvry.

Sources :

  • L’Écho des sports – 18 octobre 1938
  • Ce Soir – 18 août 1938
  • Le Petit Parisien – 28 septembre 1938
  • L’Auto-Vélo – 26 août 1938
  • L’Aisne Nouvelle – 11 mars et 10 juin 1948
  • La France Libre – 22 novembre 1944
  • Le Petit Havre – 28 août 1942
  • L’Aurore – 18 novembre 1944
  • Libération – 19 novembre 1944
  • Le Journal de Saône-et-Loire – 3 septembre 1951
  • Le Populaire du Centre – 3 septembre 1949
  • Journal officiel de la République française – 1er août 1922
  • But-Club – 27 octobre 1952
  • Allez Arras – 19 février 1937
  • MatchID
  • Geneanet
  • Archives du ministère des Armées
  • Libra Memoria
  • Stade béthunois FC
  • Allez Red Star
  • Archives du Pas-de-Calais
  • Archives de la Seine-Saint-Denis
Vous souhaitez partager l'article ?
Retour en haut