Le 10 mai 1948, une atmosphère électrique imprègne le stade Yves-du-Manoir de Colombes où le Racing Club de Lens se prépare à livrer un combat épique contre son voisin lillois, dans une finale historique de Coupe de France. Comme en 1933, avec les clubs de l’Excelsior et du RC Roubaix, la finale de cette 31e édition offre une affiche 100% nordiste. Malgré les apparences d’un duel déséquilibré marqué par la récente relégation en D2 subie par le RC Lens, l’équipe se prépare à défier les pronostics avec courage et détermination. Remontons ensemble le temps pour revivre ce moment clé de la vie du club.
Le parcours
Dès le 5e tour, nos Lensois affrontent le club de Bruay, alors pensionnaire de DH, et font trembler les filets lors d’une victoire éclatante 8 à 2. Le tour suivant, les Lensois affrontent le grand Saint-Étienne. Mais contre toute attente, les joueurs créent la surprise en s’imposant 3 à 0 après une prolongation palpitante. Face à Bayeux, évoluant alors en promotion, le Racing confirme sa supériorité en remportant une victoire convaincante sur le score de 2 à 0 lors du tour suivant.
En 1/8e de finale, le RC Lens tombe encore sur un club de D1, Rennes. Mais une fois de plus, il prouve sa force en s’imposant 3 à 2. En 1/4 de finale, le RC Lens affronte le Stade Français. Dans un match serré, les joueurs ont finalement le dernier mot avec une victoire 2 à 1, confirmant ainsi leur place parmi les meilleurs de la compétition et vengeant au passage leurs amis béthunois, éliminés par cette même équipe au tour précédent.
La demi-finale se joue contre Colmar, une équipe du même calibre évoluant dans le même championnat. Défaits 5 à 1 lors de la 3e journée du championnat, un sentiment de revanche anime les Lensois, qui s’imposent à leur tour sur le même score de 5 à 1. C’est historique, le RC Lens vient d’atteindre la finale de la Coupe de France pour la première fois de son histoire.
Pour l’entraîneur lensois, Nicolas Hibst, cette finale revêt une importance particulière. Ayant déjà goûté à cette émotion en 1938 en tant que capitaine du FC Metz, il espère cette fois que l’issue sera différente.
Depuis l’avènement du professionnalisme en 1932, la Coupe de France est devenue l’apanage des clubs de l’élite. Depuis cette date, un seul club amateur, le RC Roubaix, a pu parvenir en finale en 1933. En 1936, une modeste équipe de deuxième division, le FC Charleville, connut également les honneurs de la finale. C’est aujourd’hui au tour du RC Lens d’inscrire son nom au tableau et de jouer contre son très expérimenté voisin lillois, l’autre finaliste tenant du titre et habitué aux honneurs de Colombes.
Suite à la qualification en finale, André Varasson, président adjoint du RC Lens déclare :
« Gagner la Coupe, c’est cette idée qui nous a hypnotisés pendant toute la saison. Pourtant le plus difficile reste à faire devant l’épouvantail lillois. Nous savons très bien que l’opinion publique nous donnera battus au départ. Nous montrerons que notre jeu est de qualité, avec nos joueurs qui sont tous des gars simples et courageux. Des gars qui travaillent à la mine comme employés de surface et n’ont pas la mentalité de certains pros. Plusieurs des nôtres ont été à la dure école de la mine, ils sont descendus au fond comme piqueurs, je pense à Mankowski, Stanis, Pachurka, Marresch et Habera qui savent tous ce que sait que de s’accrocher. »
Le retour à la réalité
Les Lensois ont à peine le temps de fêter leur qualification avant qu’un événement tragique ne les ramène brutalement à la réalité : le lendemain de la demi-finale, le 19 avril 1948, un tragique accident de poussière s’est produit dans l’un des puits d’entrée d’air à la fosse 4 du groupe d’Hénin-Liétard. On dénombre 16 victimes et 40 blessés. Face à cette terrible tragédie, les Sang et Or sont plus déterminés que jamais à honorer la mémoire des victimes et à se surpasser pour cette finale.
La finale
Dans les jours qui précèdent la finale tant attendue, l’équipe de Lille, d’ordinaire redoutable, essuie une défaite cinglante 8 à 3 contre Saint-Étienne lors d’un match de championnat. Mais ce n’est pas tout : un désaccord éclate entre les joueurs lillois et la direction concernant les primes de match. Les Lillois menacent même de faire grève. Cette atmosphère tendue pourrait jouer en faveur des Sang et Or à l’approche de la finale.
Au cours des derniers entraînements, le journaliste de la Voix du Nord, Jean Chantry, raconte que l’entraîneur lensois Nicolas Hibst et l’entraîneur lillois André Cheuva sont venus le solliciter pour récupérer des renseignements ô combien précieux concernant la formation et la tactique de l’équipe adverse.
Les Lensois, de leur côté, ont pris la décision de rejoindre Paris plus rapidement que prévu. Nicolas Hibst raconte :
« La vie était devenue intenable à Lens, les joueurs ne pouvaient pas faire un pas dehors sans être accostés par des amis dont le nombre croissait au fur et à mesure qu’approchait l’heure de la finale. Le bar de Siklo était envahi de conseillers techniques. »
8 mai 1948
Les Lensois arrivent à Paris en fin de matinée, puis prennent la direction de Saint-Germain où ils passent l’après-midi. Dans la soirée, ils rejoignent la capitale pour y passer la nuit du samedi au dimanche.
Le même jour, un détachement précurseur de supporters lensois dirigés par Jules Schumacher vient livrer le chapeau commandé tout spécialement par Siklo en prévision d’un tour d’honneur en cas de victoire. Un chapeau en feutre gris clair entouré d’un ruban sang et or avec, sur le devant, un bouquet de pensées rouges et jaunes.
9 mai 1948
À la veille de la finale, les Lillois Roger Vandooreen et Jean Baratte, malades, sont très incertains pour le match. Bien entendu, leurs adversaires artésiens ne doivent rien savoir.
10 mai 1948
À l’aube de cette journée qui s’annonce historique, l’effervescence est à son comble chez les supporters, alors que pas moins de 80 bus et 7 trains s’apprêtent à partir d’Arras. Leur destination : le stade Yves-du-Manoir de Colombes, en région parisienne. Ce sont ainsi 15 000 supporters lensois et lillois qui vont se croiser sur les routes, une scène qui paraîtrait inconcevable de nos jours.
Cet afflux de supporters témoigne de l’ampleur de l’événement et de l’engagement indéfectible des supporters des deux camps. Animés par un même amour pour leur équipe, ils sont prêts à soutenir leurs joueurs jusqu’au bout et à faire résonner leurs chants dans les travées du stade.
Arnold Sowinski se souvient :
« J’avais 14 ans. Le club avait pris les meilleurs éléments et les jeunes les plus méritants, et avait organisé un car. Avant, il n’y avait pas d’autoroute, que des pavés pour arriver à Paris, et on mettait 6 heures. Il s’agissait de la première finale de Coupe de France à laquelle j’assistais, et de ma première sortie dans la capitale. »
Histoire des derbys
À midi, alors que l’heure fatidique approche, un orage éclate soudainement à Colombes, plongeant le stade dans une atmosphère électrique. Le terrain devient très glissant. Vers 13h, alors que l’orage se calme enfin, les supporters des deux camps rentrent dans le stade. En lever de rideau, les spectateurs assistent à la finale de la Coupe Nationale des Cadets opposant le Sud-Est à la Lorraine.
Dans les vestiaires, une atmosphère empreinte de concentration et de détermination règne parmi les joueurs du RC Lens. Chacun se prépare mentalement et physiquement pour affronter ce défi de taille qui les attend sur le terrain.
À 20 min du coup d’envoi, les joueurs lillois sont toujours déterminés à faire grève et sont encore habillés en civil. Conscient de ne plus maîtriser la situation, le président Louis Henno finit par céder aux demandes des joueurs qui partent s’habiller rapidement.
À 15 min du coup d’envoi, devant 60 739 spectateurs en folie, les joueurs des deux équipes entrent sur le terrain, prêts à en découdre. Cependant, un léger contretemps se présente : le président de la République affiche un léger retard ! Finalement, M. Vincent Auriol fait son apparition et serre rapidement les mains des joueurs pour que le match puisse débuter comme prévu à 15 heures précises.
Le match est arbitré par M. Boes, assisté par les juges de touche M. Fauquemberghe et M. le Foll. Le capitaine lensois Ourdouillié gagne le toss et choisit le terrain.
Composition des équipes :
Lille OSC : Witkowski, Jadrejak, Prévost, Sommerlinck, Dubreucq, Bigot (cap.), Tempowski, Carré, Vandooren, Baratte, Lechantre. Entraîneur : André Cheuva
RC Lens : Duffuler, Gouillard, Golinski, Melul, Siklo, Ourdouillié (cap.), Marresch, Pachurka, Mankowski, Stanis, Habera. Entraîneur : Nicolas Hibst
15 h, que la finale commence !
Les Lillois sont les premiers à se mettre en évidence. À la 23e minute, servi par Roger Carré, Roger Vandooren trouve l’ouverture d’un tir au ras du poteau droit de Georges Duffuler. 1 à 0 pour Lille. Les Lensois ne se découragent pas et, par l’intermédiaire de Stanis, parviennent à revenir à hauteur juste avant la pause (39e).
Dès le début de la seconde période, le LOSC se détache à nouveau grâce à un but de Jean Baratte, qui reprend victorieusement un tir de Tempowski mal repoussé par Duffuler (52e). 2 à 1 pour Lille.
Mais les Lensois peuvent encore une fois compter sur l’infatigable Stanis, qui, d’un corner direct, se charge d’égaliser à nouveau à la 77e minute de jeu. En fin de match (86e), les Lillois reprennent une troisième fois l’avantage grâce à un tir croisé de Jean Baratte. Cette fois, les Lensois ne reviendront pas. Par 3 buts à 2, le LOSC remporte une nouvelle Coupe de France, la troisième de suite et égalise le record du Red Star (1921, 1922, 1923).
Le but de la discorde
Sur le troisième but lillois, le portier Witkowski, à la suite d’un coup franc accordé à Lens aux 25 mètres, fait front, solidement campé sur ses jambes, à un puissant assaut conjugué de Stanis et d’Habera. Lens a certainement manqué sa dernière occasion. C’est alors que la balle, dégagée très loin par Witkowski parvient dans la zone de Baratte et Golinski. L’avant-centre international, après s’être débarrassé de Golinski, non sans avoir usé d’une légère irrégularité, file seul en direction des buts de Duffuler. Le jeune gardien lensois tente une sortie, mais Baratte l’évite et, d’un tir du gauche, place la balle dans la partie gauche des buts lensois.
Si les Lensois sont persuadés qu’il y a faute, il en est tout autrement pour Jean Baratte :
« Mon dernier but ? Pourquoi le conteste-t-on ? Je n’ai fait que déporter Golinski en tournant. Rien de plus régulier. »
Le président de la République remet donc, selon une tradition établie voici plus de 20 ans par son prédécesseur, Gaston Doumergue, le trophée si envié au capitaine de l’équipe victorieuse.
Le RC Lens est passé tout prêt de l’exploit. Malheureusement, le courage seul n’a pas suffi à contrer l’armada lilloise, qui ne comptait pas moins de sept internationaux dans son onze de départ. Malgré une bataille acharnée sur le terrain, les Lensois ont dû s’incliner devant la force et la supériorité technique de leur adversaire. Mais ils ont su défendre leurs couleurs avec bravoure et détermination, rendant fiers leurs supporters par leur engagement et leur courage. Cette équipe a démontré un esprit combatif exemplaire et a honoré le maillot qu’elle portait. Et même si la victoire leur a échappé cette fois-ci, l’histoire ne s’arrête pas là pour cette équipe qui, l’année suivante, va retrouver les joies de la première division.
Laissons le mot de la fin à notre meilleur ennemi, Jean Baratte :
« Nos adversaires ont joué leur chance avec un cran admirable et pour mon compte, j’ai appris à apprécier Golinski. Je comprends maintenant qu’avec un cran pareil, les Lensois aient fait tant de ravages en Coupe cette année. »
Sources :
- Histoire des derbys
- Racing Club de Lens, un siècle de passion en Sang et Or
- Un siècle de football en nord
- La saga des Sang et or
- Plaquette souvenir du cinquantenaire du Racing Club de Lens
- leballondanslespieds.wordpress.com
- L’Équipe, 8 mai 1948 / 10 mai 1948
- But et Club, 3mai 1948 / 10 mai 1948
- France soir, 9 mai 1948 / 11 mai 1948
- La Croix du Nord, 11 mai 1948
- Le Franc-tireur, 11 mai 1948
- Libération, 9 mai 1948 / 11 mai 1948
- L’Intransigeant, 9 mai 1948 / 11 mai 1948