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Amadou Haïdara, un certain paradoxe

Sauf si vous vous êtes retiré loin de Lens et de l’actualité, vous saviez probablement qu’Amadou Haïdara aller signer au Racing. C’est désormais officiel, depuis ce 23 décembre. Présentons le joueur et aussi l’homme, dont l’histoire dit beaucoup sur le football moderne.

Mais quel numéro portera-t-il ?
Photo RC Lens
Élève de l’académie Jean-Marc Guillou

Natif de Bamako mais ayant grandi à Kéla, près de la frontière du Mali avec la Guinée, Amadou Haïdara est un produit de l’Académie Jean-Marc Guillou de Bamako. Fondée en 2006, l’antenne de Bamako a également vu passer dans ses rangs deux autres milieux lensois, Souleymane Diarra et Cheick Doucouré.

La méthode Jean-Marc Guillou est connue, l’intéressé est d’ailleurs transparent sur le sujet : attirer un maximum de jeunes pour opérer une sélection drastique. Et s’entraîner pieds nus pour améliorer le toucher de balle et insister sur la technique avec le ballon. Elle fonctionne à plein régime et les « produits » de ces académies envahissent les clubs de football européens.

Étoile de La galaxie Red Bull

Symbole de son temps, Amadou Haïdara est aussi un produit de la « galaxie » Red Bull. Transféré en Europe au RB Salzburg, il est prêté immédiatement lors de la saison 2016-2017 au FC Liefering, club satellite n’ayant que pour unique vocation de donner du temps de jeu aux jeunes pousses de la marque au taureau. Pour le dire simplement, le FC Liefering est au RB Salzburg ce que Strasbourg est à Chelsea. En poussant la logique encore plus loin : aujourd’hui, le club de deuxième division autrichienne n’a aucun joueur de plus de 20 ans dans son effectif.

Après cela, le milieu malien enchaîne deux saisons dans les deux autres clubs européens de la boisson énergisante : le RB Salzburg puis le RB Leipzig, pour un transfert, en janvier 2019, estimé à 19 millions d’euros.

Dans le club phare de cette galaxie, il devient un titulaire indiscutable. Il est alors hors d’atteinte pour un club comme le Racing. Mais les années passent et le joueur semble stagner, peut-être même un peu régresser. Une suite de circonstances défavorables pour lui chez ce gros club de Bundesliga — blessure, changement d’entraîneur, refus de signer une prolongation — le rendent finalement accessible aux bourses du Racing cet hiver.

Pour Pierre Sage et son staff, il faudra savoir relancer le joueur de 27 ans qui sort d’une demi-saison blanche. Et lui faire découvrir un environnement nouveau pour ce joueur façonné par la filière Guillou et n’ayant connu en Europe que le système Red Bull.

Homme au grand cœur

Voilà pour le footballeur. La face la plus originale d’Amadou Haïdara est cependant, et sans nul doute, son engagement extrasportif. Comme d’autres footballeurs il organise des camps de football, pour donner une seconde chance à ceux qui ont raté la marche des académies et centres de formation. Mais plus que ça : le Malien s’est doté d’une fondation à son nom. Une entité juridique propre. S’il n’est pas le seul footballeur à lancer un tel projet, il s’agit probablement du premier Lensois à disposer d’une telle structure. L’Institut Diambars, dont Jimmy Adjovi-Boco fut l’un des cofondateurs, est en effet une association et un club de football.

Reportage sur la distribution alimentaire organisée par la fondation Haïdara
Planète Sports Mali

La fondation organise des actions concrètes comme la distribution de denrées alimentaires. Elle a également financé la construction d’un centre de santé dans le village du père d’Amadou Haïdara. Lors de l’inauguration du centre qui porte dorénavant son nom, le néo-Lensois aura ces mots forts de sens politique : « Aujourd’hui, nous concrétisons l’idée que la santé est un droit fondamental, pas un privilège, et que chaque individu mérite des soins adaptés et attentionnés ». Il déclarera également ce même jour : « Ce centre n’appartient pas qu’à Kéla. Il appartient aussi à tout le Mandé, voire ses voisins à la frontière guinéenne ».

Amadou Haïdara est un paradoxe vivant. Côté face, c’est le « produit » des systèmes Guillou et Red Bull. Il est en cela un des hérauts du football mondialisé capitaliste, qui draine les talents d’un vaste continent où plus d’un enfant rêve des lumières du haut niveau, l’Afrique. Côté pile, c’est un homme généreux, aux convictions politiques et humanistes fortes — peu habituelles dans ce milieu qui brasse beaucoup d’argent. Il atterrit à Lens, où l’envie d’être compétitif ne fait pas oublier l’une des raisons d’être du club : rassembler une population, s’unir autour d’une équipe, en restant accessible aux plus défavorisés. Peut-être pas un choix de carrière dicté par le hasard.

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