Pour beaucoup d’initiés, la réussite sportive du RC Lens n’est pas une si grande surprise que ça. En effet, dans les coulisses du monde du ballon rond, les Sang et Or jouissent d’une très belle réputation, et sont considérés comme un des clubs qui travaillent le mieux en France. Franck Haise ne cesse de répéter que les performances de ses hommes sont la conséquence d’un travail collectif parfaitement orchestré, et basé sur une entente parfaite entre toutes les composantes du club : direction, entraîneur, staff, pôle performance. L’humilité au service de l’ambition, par le travail. Mais nous pourrions également parler d’innovation. Car en parallèle, le RC Lens continue d’investir dans des outils à la pointe. Parmi elle, la solution de SportsDynamics, que nous avons le plaisir de vous présenter aujourd’hui au travers d’un entretien exceptionnel avec Arnaud Santin, CEO et cofondateur de l’entreprise.
Bonjour Arnaud, est-ce que tu peux te présenter auprès de notre communauté ?
Je m’appelle Arnaud Santin, je suis dans l’industrie du sport depuis la fin de mes études, domaine qui me passionne depuis que je suis jeune. J’ai travaillé dans différentes agences, vendant du sponsoring à l’international et dirigeant des événements comme des courses cyclistes ou à pieds. J’ai rencontré mon actuel associé Vincent Bacot à la fin de son cycle de recherche au sein des labos du CNRS et de l’école Polytechnique, alors qu’il souhaitait lancer une société liée à la technologie qu’il avait brevetée. On a alors lancé SportsDynamics fin 2019 avec pour ambition de révolutionner la manière dont la data était traitée. Dans le football dans un premier temps, puis dans le sport de manière plus générale, avec des applications possibles dans de nombreux sports collectifs et le tennis notamment.
Comment se met en place votre technologie ?
Avec des technologies de tracking. Le tracking, c’est le fait d’identifier la position des joueurs. Il en existe trois types sur le marché. Le GPS, qui est celui qui est le plus utilisé lors des entraînements et en match, et dont la principale limite réside dans le fait que d’un point de vue tactique, les données de l’adversaire et du ballon sont inaccessibles. En post-match, on ne peut analyser que des données finalement très physiologiques. C’est fiable, mais limité. Le second tracking que l’on utilise, c’est le tracking dit optique, à partir de caméras installées dans les stades et d’opérateurs comme StatsPerform (LFP) ou Second Spectrum (basket, MLS). C’est la technologie la plus fiable et qui permet de couvrir l’ensemble des 22 joueurs présents sur le terrain, ainsi que le ballon. Enfin, il y a un troisième type de tracking que l’on va appeler le broadcast tracking, qui rend possible la collecte de la data depuis un flux vidéo de type Prime Vidéo ou Canal+. Ces opérateurs de broadcast tracking s’efforcent alors de reconstituer les positions x, y des joueurs sur le terrain et la position x, y, z du ballon tel qu’observé sur le flux. Et ensuite, nous reconstituons l’ensemble des indicateurs tactiques qui sont importants pour nous, ou pour les clubs avec lesquels on travaille. Les opérateurs broadcast tracking sont très intéressants car ils nous permettent de s’affranchir d’installations hardware qui peuvent s’avérer très coûteuses, et qui nécessitent des partenariats.
Qui dit données, dit partage. Comment cela se met en place ?
Généralement, une ligue ne voudra pas partager les données de tracking (brutes ou traitées) auprès d’acteurs étrangers. Et ce pour des raisons que l’on peut comprendre. Si on veut travailler avec des clubs sur le recrutement de joueurs évoluant à l’étranger, on va être contraints de travailler avec des données accessibles, généralement issues du broadcast tracking.
D’un point de vue personnel, j’ai tendance à penser que la plupart des ligues gagneraient à ouvrir les accès à leurs données. En France, par exemple, la totalité des clubs se doivent de vendre, y compris le PSG. Pour vendre des joueurs, il faut les valoriser, et les datas le permettent. Si les clubs étrangers des ligues anglaise, allemande ou espagnole avaient accès à un maximum de données françaises, cela leur permettraient d’identifier les pépites qui collent à leur modèle de jeu et qui ne sont pas forcément repérables à la vidéo ou à l’œil nu du recruteur. Des données très spécifiques peuvent mettre en valeur des profils de joueurs. Aujourd’hui, on est plus dans une logique de protection des données, d’une limitation du partage, parce qu’il y a des aspects de RGPD ou plus globalement de politique qui entrent en jeu.
On a tous connu les statistiques Canal+ des années 1990-2000, qui étaient au final relativement creuses et ne mettant en valeur que les joueurs en bout de chaîne, à savoir le but ou le passeur. Par l’intermédiaire de votre solution, vous permettez de valoriser un joueur clef d’un système de jeu qui, si l’on ne se référait qu’à la statistique dite grand public, n’aurait pas un rendement intéressant voire serait même carrément invisible ?
Absolument, il y a des profils de joueurs que l’on va avoir du mal à mettre en valeur avec de la data statistique dite classique, visuelle ou historique. Je pense notamment aux milieux récupérateurs ou aux défenseurs. Même les données physiologiques, comme la distance parcourue ou le nombre de sprints à haute intensité, ont leurs limites. En fait, tout dépend du respect de la consigne du staff. Est-ce que le joueur a fait ce qui lui a été demandé ? Si on ne va pas dans ce niveau de détail, il est impossible de dire si tel piston est un bon joueur ou pas. Peut-être qu’il fera x centres, mais si son coach ne le lui demande pas… C’est là où on intervient chez SportsDynamics, dans l’analyse du jeu et des adversaires. On s’évertue à être le plus précis possible dans la personnalisation des indicateurs de performance, afin qu’ils puissent s’appliquer à la vision du football, au modèle de jeu ainsi qu’à l’analyse des adversaires des clubs avec lesquels nous travaillons. Cela permet d’avoir des datas qui non seulement sont scientifiquement meilleures, mais qui en plus répondent aux besoins d’analyse des staffs par rapport à une data statistique dite grand public qui est forcément moins profonde car standardisée.
« Renverser le modèle de la statistique »
C’était justement une question que je souhaitais te poser. Comment avoir un champ référentiel pour dire que telle donnée a de la pertinence par rapport à une autre ? Il y a donc la possibilité pour les clubs clients de paramétrer et personnaliser l’ensemble des indicateurs ?
L’application est construite comme cela, oui. Notre but est de renverser le modèle de la data statistique, qui est générée de manière semi-manuelle, voire manuelle. Avec cette dernière, le match n’est visionné que d’une seule manière. Et à la fin, les opérateurs sortiront des statistiques n’apportant que peu de valeur.
Nous, on va beaucoup plus loin dans la définition des thématiques de jeu. Par exemple, si on regarde les données post-matchs sur les comptes de deux clubs clients qui jouent l’un contre l’autre, Hoffenheim et le Bayer Leverkusen, les résultats ne seront absolument pas les mêmes. Elles utilisent la même technologie, mais les modèles de jeu, les objectifs voire même les façons de voir le football sont extrêmement différentes. Les coachs et les analystes ne verront pas la même chose en termes de rendu et de datas. Et de facto, n’auront pas les mêmes résultats car au préalable, ils n’auront pas assigné les mêmes consignes que ce soit collectivement (contre-pressing, etc…), ou individuellement (milieu récupérateur, avant-centre). Ce sont les experts qui créent leur propre traitement de données directement depuis notre plateforme.
Quels sont les différents métiers autour de la data dans le football ?
Il y a plusieurs types de métiers. Globalement, le data analyst va utiliser nos données pour réussir à les contextualiser par rapport à nombre x de paramètres. Nous ne sommes pas au sein des clubs, des staffs, des directions sportives. Ce n’est pas notre métier d’interpréter la data. Certains des clubs avec lesquels nous travaillons ont même des données très éloignées des nôtres, et c’est ce qui m’intéresse énormément. On parle de plus en plus de la dimension psychologique ou mentale des joueurs. Il y a plein d’ensemble et de sous-ensembles de données que les data analysts au sein des clubs sont chargés d’analyser. Que ce soit pour les joueurs actuels et le collectif, ou les futures recrues. A côté de cela, il y a un métier de data scientist, qui va être un métier de recherche scientifique. Son objectif est de créer des modèles et des données au sens fondamental du terme. En gros, c’est notre métier, et certains clubs, comme Liverpool FC ou le FC Barcelone l’ont internalisé. Mais pour faire simple, la grande majorité des clubs a recours aux data analysts.
La data va-t-elle homogénéiser le football ?
Je ne pense pas. Il y a deux niveaux de réponses à cela. Premièrement, la data reste au service d’un staff, d’un collectif. Nous ne nous mettons pas du tout en opposition avec les experts ; les coachs et leurs staffs. La data est un outil qui permet de prendre une décision. Il y a énormément d’éléments qui influent dans le sport, et notamment dans le football. Je pense à la psychologie, la physiologie, les contextes x ou y. Tous ces facteurs ne sont pas liés à la data, qui à elle seule ne peut pas révolutionner le football.
Le second point, comme je te l’ai expliqué précédemment, est que nous proposons une personnalisation permanente à nos clients qui auront au préalable défini des paramètres tactiques, et ce en ayant recours à leur créativité. Notre objectif est de retranscrire, par des indicateurs scientifiques fiables et éprouvés, leur vision du football. La créativité est et reste sur le terrain, à l’entraînement, au quotidien. Une fois que les systèmes de jeu sont définis, on intervient en les traduisant en KPI (key performance indicators) qui sont scientifiquement fiables. Nous faisons la traduction scientifique afin d’avoir des éléments de retours clairs afin que le coach et son staff puissent savoir si d’un point de vue collectif et individuel les plans de jeu ont été respectés. Et pourquoi cela a ou n’a-t-il pas fonctionné.
Du coup, un entraîneur qui va vouloir jouer très défensif et de manière structurée, ou bien offensif avec une dominante dans le redoublement de passes et la possession de balle, va pouvoir optimiser son plan de jeu grâce à la data, qui vient au service du tacticien, et non l’inverse.
Le souci principal que nous rencontrons, c’est quand les experts n’ont pas de plan de jeu clair. Nous avons des configurations standards, qui sont également personnalisables, mais généralement, si tu regardes avec qui nous travaillons (et avec qui nous avons pu communiquer), ce n’est pas complètement illogique de voir des clubs innovants ayant des coachs aux philosophies de jeu très marquées. On travaille depuis le début de la saison MLS avec les LA Galaxy, qui sont aux portes des playoffs. Il y a des failles dans leur jeu actuel, mais tout ce qu’ils mettent en place d’un point de vue plan de jeu est extrêmement clair, c’est ce qui nous permet de travailler en collaboration avec leur staff sur la définition d’indicateurs très pointus.
Est-ce que vous travaillez également sur le recrutement ?
On va démarrer l’application recrutement d’ici la fin 2022. Une fois encore, il est important que le club ait une unité autour d’un projet de jeu. L’objectif de cette application recrutement sera d’aider les clubs à identifier des joueurs qui entreront dans le projet de jeu mis en place. Quand on a démarré, il y avait très peu de clubs qui avaient aligné leur politique de recrutement sur leur philosophie de jeu. Je pense à notamment à l’Ajax Amsterdam qui a toujours procédé de la sorte. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus le cas. Si le club nous présente un projet de jeu clair, nous allons pouvoir définir des indicateurs et pouvoir aller scouter des joueurs qui s’intégreront parfaitement dans la tactique. On a moins la volonté de dire que tel joueur est le meilleur de la Ligue que de prouver que tel joueur sera compatible avec un modèle de jeu donné. L’objectif est de permettre aux clubs clients de recruter des joueurs qui apporteront sportivement, ce qui in fine permettra de développer leur valeur marchande en vue d’une éventuelle revente.
Un immense merci à Arnaud Santin, co-fondateur et CEO de SportsDynamics, qui nous a accordé une heure de son temps afin de présenter son entreprise.