Les connaisseurs du football ont déjà entendu parler de ce dispositif tactique qui remonte à bien loin. Mais qu’est le W.M au juste ? Et quel héritage nous a-t-il laissé ?
Les premiers clubs de football naissent en Angleterre dans les années 1850. À cette époque, aucune notion « tactique » n’existe : les joueurs attaquent et défendent ensemble en constituant un seul bloc, sans spécialisation. Cette liberté faisait de chaque joueur un attaquant potentiel. Il faudra attendre les années 1880 pour commencer à voir des joueurs assignés à un poste bien défini, notamment pour les tâches défensives. Les joueurs les plus costauds sont placés à l’arrière et leur rôle consiste à envoyer le ballon vers les attaquants. Malgré un jeu encore énormément porté vers l’avant, la première tactique commence à faire son apparition : le 2-3-5. Désormais, les équipes sont composées de 3 lignes : les défenseurs, les demis, et les attaquants.
Dans le nord de la France, l’Union sportive boulonnaise, en mars 1923, persiste à « pratiquer un jeu constitué de grands coups de pied à suivre, avec sprints à l’appui et tirs au hasard dans la minute, dans la direction approximative des buts. » Si le « Kick and Rush » est encore pratiqué par les équipes des divisions inférieures, le Racing Club de Lens lui, opte pour un 1-1-3-5 original.
Tout va changer en 1925, date charnière dans l’histoire du football. Jusqu’alors, la règle du hors-jeu impose d’être couvert par deux joueurs et le gardien. La passe en profondeur est alors presque impossible, ce qui favorise les chevauchées solitaires et la progression en bloc. Cette année-là, la règle est amendée, et devient celle que l’on connaît encore aujourd’hui. Les conséquences sont immédiates. Ce changement fait la part belle aux attaquants, qui peuvent se spécialiser, et les défenseurs doivent absolument se coordonner pour rester bien alignés.
Herbert Chapman, entraîneur d’Arsenal, qui vient de prendre sept buts contre Newcastle, réfléchit à un nouveau schéma tactique. Le 2-3-5 devenant ainsi un 3-2-2-3 que l’on connaîtra bientôt sous le nom de W.M.
Le principe est de faire redescendre le demi-centre pour neutraliser l’avant-centre adverse et de faire reculer d’un cran les deux intérieurs (des attaquants placés entre ailier et avant-centre) pour densifier le milieu de terrain. Les trois défenseurs et les deux demis forment le M, tandis que les deux intérieurs, qu’on appellerait aujourd’hui milieux offensifs, et les trois attaquants constituent le W. L’exploit individuel se fait plus rare, et laisse la place à un jeu plus construit. Avec ce nouveau schéma tactique, Arsenal gagnera successivement la Cup (1930) et deux titres de champion d’Angleterre.
« Des joueurs-clés pour donner le juste équilibre entre attaque et défense. »
Herbert Chapman
Les nombreuses confrontations entre clubs anglais et clubs français permettent l’exportation de ce nouveau système de jeu. Dans la moitié nord de la France tout particulièrement, la présence de joueurs anglais facilite l’adoption du W.M. Les premiers clubs français à l’avoir employé avec succès sont le Racing Club de Paris et le Racing Club de Lens. À Lens, la présence de l’entraîneur anglais Jack Galbraith a sans doute également facilité son adoption.
« Mais quelle virilité dans l’action et aussi quelle efficacité. Équipe complète, homogène, des intérieurs courant sans arrêt, souvent placés pour le shot. Une formation armée pour le W.M, qu’elle pratique à la perfection. »
L’Écho, 23 septembre 1942
Le W.M oui, mais pas pour tout le monde !
Cette nouvelle formation exige une discipline tactique que tous les clubs ne peuvent mettre en place. Le W.M nécessite des joueurs dotés de qualités particulières, aussi bien physiques que morales. À savoir une certaine discipline, et une capacité à tenir son rôle pendant 90 minutes.
« Quand le RC Lens se permit le luxe de remporter le championnat de zone Nord avec 14 points d’avance, il disposait de Mathieu ou Beaucourt comme demi-centre et Siklo et Fruleux occupaient les places d’intérieurs. De plus, Marek et Gouillard étaient des arrières qui s’étaient fort bien assimilés avec le W.M et ne prenaient aucune liberté avec les exigences de celui-ci. »
L’Auto-Vélo, 17 septembre 1943
Peu d’équipes disposent d’éléments de grande valeur capable d’assimiler le W.M.
On peut par exemple citer le cas de Bordeaux :
« Le team Guyennais* possède ses caractéristiques propres qui ne peuvent être assimilées à aucune autre. Il ne s’embarrasse d’aucun système ou du moins, il emprunte à tous, ce qui lui parait le plus conditionné en les circonstances de l’heure. Les Girondins ignorent les plus élémentaires principes du fameux W.M : ce qui ne les empêche pourtant pas d’opérer à trois arrières lorsque l’adversaire est menaçant. »
Les Sports du Nord, 1er mai 1943
Un peu de propagande ?
Gabriel Hanot, ancien footballeur international français, devenu journaliste et sélectionneur de l’équipe de France, exhorte les clubs français à pratiquer le W.M.
« Équipes françaises, de clubs ou de sélection, renforcez-vous d’une tactique. Prenez pleine conscience de vos possibilités. Adoptez une méthode d’ensemble, et de préférence le W.M, car il est singulièrement efficace, je vous assure. Sans tactique, pas de salut. »
Le Miroir des sports, 2 avril 1935
Des alternatives au W.M ?
« Le choix et l’application d’un système doivent être basés sur la disposition et les qualités personnelles des joueurs appelés à l’appliquer. »
L’Auto-Vélo, 17 septembre 1943
Les Autrichiens et les Italiens n’ont jamais pratiqué le W.M, de même qu’en France, de grandes équipes comme Lyon, Marseille, Sochaux, ou le FC Sète ont fait l’impasse. D’autres systèmes sont utilisés à cette époque, comme l’aile marchante ou la diagonale. Le W.M restera néanmoins en vogue pendant presque 30 ans, et il faudra attendre les années 1960 avant de trouver des successeurs :
le 4-2-4 de la Hongrie de Puskas, le 4-3-3, puis le 4-4-2.
le W.M est-il encore compatible avec le football moderne ?
Pour répondre à cette question, essayons d’imaginer ce que donnerait ce dispositif avec l’effectif 2022-2023 du RC Lens. Cette tactique paraît très portée sur l’attaque, mais pas inimaginable.
* La Guyenne est une ancienne province, située dans le sud-ouest de la France qui a pour capitale Bordeaux.
Sources :
- Les Sports du Nord, 1er mai 1943
- L’Auto-Vélo, 17 septembre 1943
- L’Écho, 23 septembre 1942
- Le Miroir des sports, 2 avril 1935
- L’Équipe, 8 mai 1948
- « Le football à travers les siècles : WM et premiers débats tactiques » sur footuniversal.com
- « « D’un jeu barbare à un jeu intelligent… » Les mutations des styles de jeu du football nordiste » par Olivier Chovaux
- arsenal.com