CULTURE SANG & OR

Justin Guilbert, une histoire de statuts

Le Racing Club de Lens doit une part essentielle de son existence à un homme souvent oublié. Aux côtés de Henri Douterlungne et Jules Joseph Van den Weghe, pères fondateurs, un troisième nom mérite d’être inscrit dans l’histoire : celui de Justin Guilbert, premier secrétaire du club, et l’auteur, des premiers statuts officiels du club.

Justin Guilbert
Racing Club lensois 1912/ 1913
Photo RC Lens

Les origines

Tous les connaisseurs de l’histoire du club ont entendu parler de la place Verte, berceau des premiers pas du football lensois au début du XXe siècle, où de jeunes étudiants se rassemblent pour improviser leurs premières parties. Toutefois, afin de transformer ces rassemblements spontanés en véritable club, il faut des hommes pour structurer le mouvement. C’est ainsi que Henri Douterlungne et Jules Joseph Van den Weghe, créateurs du Club cyclo-pédestre de Lens trois ans auparavant, décident d’ajouter en 1903 une section football. En 1906, cette section devient indépendante et donne naissance au Racing Club lensois.

Si les débuts sont marqués par un enthousiasme débordant, le besoin d’une organisation se fait rapidement ressentir. Pendant que les joueurs disputent leurs rencontres dans la pâture Mercier, située dans le secteur du marais, autrement dit à la sortie de la ville en direction de Loison, un certain Justin Guilbert est sollicité pour endosser le rôle de secrétaire. À l’âge de 19 ans seulement, il rédige les premiers statuts du club, qui sont déposés en sous-préfecture de Béthune le 18 octobre 1907, marquant ainsi la date officielle de la création du Racing Club lensois. Le document comprend 32 articles qui détaillent avec précision le fonctionnement administratif du club et définissent les rôles de chacun.

Les statuts

Article 1er : But et fondation – Dans le but de favoriser le développement et l’organisation de fêtes autour de ce genre de sport, un groupe d’amis a décidé de former, à Lens, une société portant le titre « Racing Club lensois », dont le siège sera établi chez M. Henri Douterlungne.

statuts
Photo un siècle de passion en sang et or

Les statuts du Racing Club lensois définissent clairement son organisation et ses règles internes. Ils établissent des fonctions précises pour chaque membre du club : président, vice-président, secrétaire et trésorier. On remarque également que les règles mises en place sont très détaillées. Par exemple, concernant le rôle de secrétaire-trésorier, ce responsable des finances du club doit toujours porter sur lui une somme de 5 francs lors des réunions pour parer aux imprévus. L’article 8 prévoit qu’un membre du conseil absent à trois réunions consécutives sans justification valable est considéré comme démissionnaire. Les missions du capitaine et du lieutenant sont également établis : « Ils sont responsables de la formation et de l’alignement de l’équipe, et tout refus d’obéissance peut entraîner une amende de 10 centimes ». Les prétendants au rôle d’arbitre ont eux aussi droit à un rappel : « L’arbitre doit respecter scrupuleusement les règles du jeu et appliquer les sanctions nécessaires ». Quant aux membres de l’association, ils ont des droits, mais surtout des devoirs. Ils doivent s’acquitter d’une cotisation mensuelle de 50 centimes, et le port de l’insigne du club sous l’effet de l’ivresse ou dans un état d’inconscience entraîne une révocation immédiate. Ces règles témoignent d’une volonté de structurer le club de manière rigoureuse, alliant discipline et organisation, à une époque où la société prend conscience des méfaits de l’alcoolisme.

Son parcours

Né le 26 décembre 1888 à Ranchicourt, Justin est le fils de Marie Dumortier et de Bertin Guilbert, maire de ce village et brasseur, puis juge de paix du canton Ouest de Lens. Il grandit aux côtés de son frère aîné Albert, né huit ans plus tôt, qui travaille aux mines de Liévin en tant que chef de dépôt et mécanicien. En 1891, la famille réside au 2 rue du Château à Ranchicourt, puis elle s’installe à Rebreuve-sous-les-Monts, au 65 rue Dametz, en 1901.

Justin Guilbert
Justin Guilbert
Photo Geneanet

Alors qu’il entreprend des études de droit, Justin s’implique activement dans la structuration du Racing Club de Lens, contribuant de manière décisive à la mise en place juridique de l’association. Ce n’est pas qu’un gratte-papier et un juriste précoce : outre ses fonctions administratives, il se distingue également par ses performances sur le terrain. Le 6 avril 1911, il épouse Fernande Carpentier et s’installe avec elle à Lens, rue Eugène-Bar. Le contrat de mariage est établi par le notaire béthunois Marcel Dormion, qui devient ensuite son employeur lorsque Justin intègre son cabinet comme clerc de notaire. Il occupe également le poste de receveur municipal, agissant comme conseiller financier auprès du maire de Lens. En 1913, il est élu secrétaire du Club sportif de Lens, né de la fusion de l’Union sportive de Lens et du Racing Club lensois, bien que ce dernier retrouve rapidement son indépendance.

Pendant la guerre, il souffre d’une insuffisance musculaire et d’un grave rétrécissement aortique accompagné d’une dyspnée d’effort persistante (des difficultés respiratoires, en d’autres termes). Malgré toutes ces épreuves, il participe aux combats contre l’Allemagne du 11 septembre 1915 au 12 juillet 1916 au sein du 8e régiment d’infanterie.

Durant cette période, ce poilu devient père de deux enfants : Albert, né en 1913, et Justine, née en 1915. Il parvient à obtenir après le conflit des dommages de guerre, qui lui permettent de remettre en état le terrain du parc de la Glissoire, le rendant ainsi plus adapté à la pratique sportive que la pâture Tacquet. Malheureusement, ses problèmes de santé finissent par avoir raison de lui. Justin Guilbert s’éteint le 30 décembre 1936, à l’âge de 48 ans.

Justin Guilbert
La famille Guilbert
Photo Geneanet

Justin Guilbert a permis au Racing Club de Lens de se structurer efficacement et de perdurer dans le temps. Il a non seulement posé les bases d’une organisation administrative solide, mais également instauré un cadre disciplinaire exemplaire. Ces règles, à la fois pratiques et symboliques, témoignent de la volonté de faire du club une institution sérieuse et respectée, attirant la jeunesse de Lens et au-delà vers un sport en pleine éclosion, et capable de se développer sur la scène du football régional puis national.

Sources :

  • Plaquette souvenir du cinquantenaire du Racing Club de Lens
  • Archives départementales du Pas-de-Calais
  • Généanet
  • Les Sports du Nord – 13 juin 1931
  • Le Journal d’Hénin-Liétard – 31 janvier 1909
  • La Plaine de Lens – 12 octobre 1913
  • L’Écho du Nord – 21 janvier 1924
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