C’est un déplacement inédit qu’effectue le RC Lens Féminin dimanche à Nice (13h). À cette occasion, nous avons interrogé Philippe Serve (@PhilippeServe06), suiveur assidu de la section féminine de l’OGC Nice et passionné de football féminin en général. Il nous présente cette équipe niçoise et évoque avec nous les évolutions du football féminin français.
Culture Sang et Or : Bonjour Philippe, peux-tu te présenter à nos lecteurs ?
Philippe Serve : Bonjour Charles. Je m’appelle Philippe Serve et je suis le foot féminin au plus près, de façon quotidienne, aux niveaux local, national et international depuis 2011, même si mon premier match avec des filles remonte à 1971 ou 1972. Il s’agissait d’une rencontre à l’ancien stade du Ray à Nice, en lever de rideau d’une rencontre de D1 (masculine) de l’OGC Nice. Le souvenir reste amer et pénible, en raison des flots de moqueries et d’insultes que les joueuses des équipes du Vieux-Nice et de Saint-Laurent-du-Var avaient dû subir. Puis le temps a passé. J’ai redécouvert le foot au féminin en 2007 et 2008 avec les demi-finales et finales de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques de Pékin, où je fus bluffé par une certaine Marta [attaquante brésilienne, ndlr], plus un ou deux matchs des Bleues menées par la capitaine Corinne Diacre. La Coupe du Monde 2011 en Allemagne, dont j’avais regardé tous les matchs, fut bien sûr décisive.
Bien que Niçois, j’ai suivi avec un blog dédié pendant près de cinq ans la section féminine de l’OM au plus près entre 2012 et 2017, avec de très nombreuses interviews de joueuses et du coach Christophe Parra, à une dizaine de reprise en ce qui le concerne. J’ai aussi écrit quelques temps pour le site Foot d’Elles. Comme dit précédemment, le foot au féminin international me passionne et je regarde chaque week-end des matchs en FAWSL, Frauen Bundesliga, Liga, les tournois internationaux U17, U19, U20. J’ai suivi sur place le Tournoi de l’Algarve en 2015, et me suis déplacé trois fois en Allemagne. Je suis un grand fan du foot allemand, ainsi que des Nadeshiko japonaises. Et depuis 2017, je suis sans faille au stade pour soutenir les filles de l’OGC Nice.
CSO : Peux-tu m’en dire plus sur cette équipe niçoise ? Son recrutement ? Ses joueuses clés ?
PS : La section féminine de l’OGCN entame sa cinquième saison en D2. Après deux années tronquées par le Covid, l’équipe a terminé deuxième du groupe B, puis cinquième la saison dernière. Je ne cache pas ma déception devant le manque d’ambition affichée par les responsables de la section qui ne parlent de montée en D1 que pour « dans quelques années », l’objectif en début de saison étant un maintien rapide, puis de terminer dans les 6 premiers. L’OGC Nice est un club pro bien établi en L1 depuis longtemps, mais affiche un profil pour ses féminines en retrait par rapport à des formations comme Strasbourg, Metz, Nantes, Lens et bien sûr l’OM. J’ai vu les deux derniers matchs de l’équipe cette saison face à Orléans (4-2) et à Thonon-Evian (3-2). Sur ce que j’ai vu, l’équipe joue en 3-5-2 en option offensive et 5-4-1 en défensive. L’accent est mis sur la rapidité des transitions en attaque et le regroupement tout aussi rapide du bloc en défense.
Côté arrivées estivales, des joueuses ont débarqué dans chaque ligne. Une nouvelle gardienne de 21 ans, Emma Templier, arrivée de Monaco et qui a disputé cet été la finale de la Coupe du Monde militaire avec la France, en compagnie d’autres niçoises, Godard, Boudaud et De Ceixas. En défense, la Malienne Yakaré Diakhaté m’a fait très forte impression et se comporte déjà en patronne. Au milieu, deux nouvelles : Nadège Cissé qui arrive de l’ASSE, grande (1,77 m) et longiligne, et Jade Prault (20 ans), qui évoluait avec les U19 de l’OL. Enfin, en attaque, qui a perdu le feu follet Sarah Magnier et où Sarah Palacin est en semi-retraite, trois recrues internationales : l’Algérienne Nouhed Naïli (22 ans) auteure de trois buts sur les quatre premiers matchs, la jeune Ukrainienne Inna Hlushenko (19 ans) qui arrive de Reims , et l’Andorrane Maria Ruzafa Lozano (25 ans) qui évoluait en Italie.
Les joueuses clés… Si on fait une différence avec « joueuses incontournables », c’est-à-dire dont l’équipe ne peut se passer (ce qui n’est pas le cas, et c’est sans doute une force de l’équipe, à savoir son homogénéité), je citerais – outre Diakhaté – Rachel Robert et Morgane de Ceixas au milieu, deux joueuses aux profils très différents. La première est la leader technique et offensive, la deuxième la marathonienne récupératrice. En attaque, Fatoumata Baldé est une joueuse élégante, rapide, aux dribbles souvent dévastateurs. Meilleure buteuse de l’équipe l’an passé (14 buts) et première passeuse de D2 en ce moment avec trois cadeaux décisifs. J’ajoute une jeune joueuse qui a été mon coup de cœur l’an passé : Clara Galli. Défenseure centrale de 19 ans, elle me rappelle beaucoup Maëlle Lakrar que je connais bien pour la suivre de près depuis son arrivée à l’OM à quinze ans. Clara, venue de Mouans-Sartoux, a un excellent sens du placement qui lui permet de contrer un bon nombre d’offensives ou de tirs adverses, et une très bonne relance. Beaucoup de maturité dans son jeu. Je lui vois un brillant avenir. Comme je le voyais pour Maëlle il y a sept ans en arrière.
« C’est une excellente entraîneure »
CSO : Quel regard portes-tu sur le RC Lens Féminin ? Un mot sur Sarah M’Barek ?
PS : Je n’ai malheureusement jamais vu jouer encore la section féminine lensoise puisque l’équipe évoluait auparavant dans le groupe A de l’ancienne D2. Je suis très heureux de son existence et de son développement. Lens est une place traditionnelle et forte du foot en France, avec un merveilleux public, et j’espère que cette équipe rejoindra à un moment ou autre la D1. En ce qui concerne Sarah M’Barek, j’ai suivi de près sa carrière de coach ; d’abord au MHSC, formation pour qui j’ai une grande sympathie, puis à Guingamp. C’est une excellente entraîneure qui a toujours fait du bon travail là où elle est passée, mettant aussi en valeur beaucoup de jeunes joueuses. J’ajoute avoir énormément de respect et d’admiration pour le combat personnel qu’elle mène depuis déjà un certain temps contre la maladie.
CSO : La D2F a vécu une révolution en passant de deux groupes à un seul. Quelles équipes sont les favorites selon toi cette saison ?
PS : Je vois deux équipes au-dessus du lot à priori. D’abord l’OM qui a mis beaucoup de moyens, a un excellent coach et un effectif très riche. J’en fais le favori numéro un. Ensuite Strasbourg. Bien que n’ayant jamais vu l’équipe jouer, je trouve qu’elle progresse régulièrement (7e, 5e, 3e). C’est la deuxième équipe que je vois monter en fin de saison. Derrière, je mets comme outsiders Lens, Metz, Nantes et Montauban. Mais Metz et Montauban ont raté leur départ et accumulé déjà du retard.
« La création de la D3 était demandée depuis longtemps »
CSO : Les changements dans le football féminin français se sont opérés à tout les niveaux : création d’une troisième division, ajout de play-offs en D1 Arkema, nouveaux diffuseurs… Quel est ton avis sur ces changements ? Cela va-t-il dans le bon sens, faut-il encore aller plus loin ?
PS : La création de la D3 était demandée depuis longtemps et c’est une très bonne chose ! J’ai juste un petit doute sur la présence des réserves de clubs ayant déjà une équipe en D1 ou D2. Ça ne pourra que favoriser les gros clubs. La preuve : la seule réserve pour l’instant présente est celle de l’OL. Mais il faut voir à l’usage, je peux me tromper. Une seule D2, c’est bien aussi. Le niveau est fortement relevé de facto, ce qui est positif.
Les play-offs, je ne suis pas pour. Pour moi, un championnat à douze se joue sur 22 journées où toutes les formations se rencontrent deux fois, et l’équipe qui a pris le plus de points est championne, basta ! Là, avec ce système, on peut avoir l’équipe quatrième du championnat finir championne de France en remportant ses deux play-offs aux tirs au but, face au troisième en finale, après avoir terminé la phase régulière à 22 points du premier (Fleury quatrième par rapport à Lyon l’an passé) avec le premier terminant finalement quatrième et non qualifié pour la Ligue des Championnes. Ridicule !
La diffusion de quatre matchs sur six de D1 sur FFF-TV et Dailymotion, donc gratuitement, bravo ! C’est quelque chose que je ne cessais de réclamer sur mon compte Twitter depuis des années. Reste la qualité très médiocre des diffusions, et les commentaires des matchs souvent insupportables tellement les erreurs sont nombreuses, l’obsession de la logorrhée permanente et les consultant/es (quand il y en a) appartenant presque systématiquement à l’équipe locale avec les biais que cela entraîne trop souvent. Mais on commence aussi à voir des matchs de D2 (Le Mans-OM et Thonon-Nice dimanche dernier), et ça, c’est très encourageant.
Enfin, on ne progresse pas sur le plan de la communication et de la visibilité de la discipline, ce qui se retrouve évidemment dans les petites fréquentations des stades. Quand on compare à ce qui se passe en Angleterre, Espagne, Allemagne, c’est pathétique. Les responsabilités sont partagées, mais les clubs eux-mêmes en portent la plus grande part : pas de comptes dédiés aux sections féminines sur les réseaux sociaux, infos distribuées au compte-gouttes et au dernier moment (au mieux), installations désuètes, etc. À Nice, par exemple, il n’y a pas de tableau d’affichage, pas de speaker, pas de panneau lumineux pour les changements de joueuses et l’affichage du temps additionnel. Quand je vois la satisfaction affichée pour les 1.500 spectateurs du derby OL-ASSE, alors que ce même samedi il y en avait plus de 21.000 en Allemagne pour une rencontre entre deux équipes de milieu et bas de tableau (Werder Brême et Cologne), je me prends la tête à deux mains.
« J’espère avant tout voir un match animé »
CSO : Revenons au Nice-Lens de dimanche. Comment vois-tu ce match ? Un pronostic ?
PS : Pour ce premier Nice-Lens de l’Histoire du foot féminin, j’espère avant tout voir un match animé, offensif des deux côtés, rythmé avec de l’engagement dans un excellent état d’esprit et de respect réciproque. Bref, ce qui fait que j’aime le foot au féminin ! Et je pense que ce sera le cas ! Quant à un pronostic ? Nice est sur une bonne dynamique, Lens c’est l’inverse. Mais j’ai pour habitude de ne jamais en faire lorsque je soutiens une des deux équipes ! Bonne chance aux deux formations.
Merci à Philippe Serve (@PhilippeServe06) d’avoir pris le temps de répondre à nos questions ! Les passionnés de « football au féminin », comme il aime le dire, sont rares, et ce genre d’échange n’en n’est que plus précieux.