CULTURE SANG & OR

Stanis, le goleador lensois

Il s’appelait Stefan Dembicki, mais dans le cœur des supporters sang et or, il restera pour toujours Stanis. Ce nom résonne encore dans les travées du stade Bollaert comme celui d’un goleador inégalé, avec 173 buts en 239 matchs, toutes compétitions confondues (hors championnat de guerre). Plongée dans la vie d’un géant discret au destin exceptionnel.

Famille Dembicki
La famille Dembicki
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« Stanis », tout simplement. Ce surnom lui a été donné par le secrétaire du RC Lens, pour faire gagner du temps à tout le monde. Ce gratte-papier était loin d’imaginer qu’il enregistrait là l’arrivée au club du meilleur buteur de l’histoire des Sang et Or.

Né le 15 juillet 1913 à Marten, un quartier ouvrier de Dortmund en Allemagne, Stefan Dembicki est un fils d’immigrés polonais originaires de la région de Grande-Pologne (centre-ouest). Ses parents, Wawrzyniec (Laurent) Dembicki et Anna Bartosz, ont quitté leur terre natale pour travailler dans les mines de charbon, d’abord en Allemagne, puis en France. Dans les années 1920, la famille s’installe dans les corons du Pas-de-Calais avec ses enfants.

Stefan grandit à Harnes, rue de Beaume, entouré de ses frères et sœur : Stanislas, Jozef, Franciska et Victor. Comme beaucoup d’enfants d’immigrés, il mène une vie de labeur. Il travaille à la mine, au fond de la fosse 21. Son histoire avec le ballon rond commence à l’AS Sallaumines. Puis il rejoint le club de Kurjer Harnes, dont le siège social est le café Dembicki, tenu par son frère Jozef.

Stefan Dembicki - Stanis
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À l’âge de 19 ans, il intègre la sélection polonaise de France, ce qui lui donne l’occasion d’affronter des équipes de Pologne et de voyager à travers tout un pays, de Poznań à Varsovie, en passant par Cracovie et Lwów, ce qui lui fait découvrir sa patrie d’origine.

Stanis est une véritable force de la nature. Très vite, il attire l’attention du RC Lens. Mais une erreur administrative va freiner ses débuts : en signant deux licences simultanément, à Sallaumines et à Harnes, il est suspendu pour un an. Il doit alors patienter, ce qu’il fait au sein de l’équipe réserve du Racing.

Après cette saison passée avec l’équipe seconde, Stanis intègre enfin l’équipe première du RC Lens lors de l’exercice 1936-1937. Il rejoint alors deux coéquipiers arrivés la même année que lui, le Polonais Marian Calinski et l’Autrichien Viktor Spechtl. Un trio qui va durablement changer le visage du Racing.

Dès ses débuts, Stanis se retrouve en concurrence avec une pointure du football français de l’époque : Jean Sécember, avant-centre qui était la star de l’Excelsior Roubaix-Tourcoing, tout juste recruté par Lens lui aussi. Mais le jeune attaquant polonais ne tarde pas à s’imposer. Il inscrit 22 buts dès sa première saison et propulse les siens vers le titre de champions de deuxième division. Sécember, relégué en réserve, assiste impuissant à l’ascension fulgurante du jeune prodige.

En 1936, la vie de Stanis prend un tournant décisif, à la fois sur le plan sportif et personnel. Sa carrière de footballeur s’envole, tandis qu’il obtient la nationalité française le 30 août, affirmant ainsi son attachement à son pays d’adoption. Le 12 novembre, il épouse Régine Springer à Harnes. Ensemble, ils fondent une famille et donnent naissance à deux enfants : André et Claudette.

Mariage Dembicki Springer
Le mariage Dembicki – Springer
@Patrick Chłąd

Aux côtés de Viktor Spechtl, Stanis forme un duo offensif redoutable. Sa puissance physique, son jeu simple et direct, son efficacité devant le but en font rapidement l’idole des supporters lensois. Modeste et discret, Stanis laisse pleuvoir les tirs et parler les chiffres. Inlassable buteur, puissant et habile, il brille sans jamais chercher la lumière.

Intégré au 110e régiment d’infanterie à Dunkerque, le Franco-Polonais est sélectionné en équipe de France militaire à partir de 1938. Malgré le début de la guerre, marqué par l’invasion allemande en Pologne, il continue à jouer : le 18 février 1940, il est appelé en équipe de France B pour un match contre l’Angleterre, aux côtés d’Anton Marek et de Ladislas Smid (dit Siklo).

Lorsque l’Allemagne attaque à l’ouest en 1940, il est envoyé combattre au front en Belgique. Il est porté disparu sur la Meuse. On annonce sa mort, et sa femme reçoit même la terrible nouvelle que son mari « dort pour toujours ». Mais Stanis est plus coriace qu’il n’y paraît : blessé, il a en réalité été fait prisonnier. Il est finalement libéré grâce à l’intervention des Houillères, qui agissent en son nom dans le cadre de « l’effort de guerre ». Cette libération lui permet de retrouver les terrains dès 1941, sous les couleurs de l’équipe fédérale Lens-Artois.

Stanis à l'armée
Stanis lors des grandes manœuvres à Mourmelon
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Cette période de l’Occupation est celle d’une immense douleur personnelle. Le 23 novembre 1941, Stanis perd son épouse Régine Springer, emportée par la maladie. Malgré ce drame, il continue d’avancer, pour lui-même et surtout pour ses deux enfants. Fidèle à son image de joueur discret et humble, il fait preuve d’une force intérieure remarquable.

Le 13 décembre 1942, il entre définitivement dans la légende du football français. Ce jour-là, en Coupe de France, il inscrit à lui seul 16 buts contre Auby-Asturies, un modeste club du Douaisis. Un record absolu, toujours inégalé à ce jour. La légende dit qu’un hareng saur était promis aux joueurs à chaque but inscrit.

Après avoir brillé plusieurs années dans les championnats dits de guerre, il reprend la saison 1945-1946 en beauté en inscrivant 18 buts. La saison suivante, en 1946-1947, il marque 15 buts, mais cela ne suffit malheureusement pas à maintenir le Racing en première division.

En 1948, alors en deuxième division, il retrouve les sommets avec le RC Lens, disputant la finale de la Coupe de France à Colombes face au Lille OSC. Auteur d’un doublé, Stanis ne peut éviter la défaite (3-2), mais confirme, une fois encore, qu’il reste un attaquant d’exception.

En 1949, après 13 années de bons et loyaux services, il décide de mettre un terme à sa carrière professionnelle. Il conclut sur un titre de champion de D2, permettant ainsi au Racing de retrouver l’élite du football français.

Stanis
Stanis mensuration

En plus de son travail d’électricien aux Houillères, Stanis choisit de terminer sa carrière en amateur à Arras. Il se remarie ensuite avec Stanislawa Kubiaczyk, avec qui il aura deux autres enfants, Anette et Raymond. Il décède le 23 septembre 1985, à l’âge de 72 ans.

Plus que ses statistiques ou ses exploits, Stanis incarne une époque, celle d’un RC Lens ouvrier, humble et profondément enraciné dans la terre noire de l’Artois. Un club de mineurs, un club où l’on ne triche pas, où l’on donne tout.

Stanis, c’était le RC Lens.

Sources :

  • Geneanet
  • Archives du Pas-de-Calais
  • Patrick Chłąd, Harnésien d’un jour, Harnésien toujours
  • Laurent Mazure, RCLens Database
  • Sofoot, « Ode au Roi Stanis »
  • David Derieux et Grégory Lallemand, RC Lens, secrets de transferts
  • Journal officiel de la République française, 30 août 1936
  • Le Miroir des sports, 1er mars 1943
  • L’Auto-vélo, 17 décembre 1942
  • Dernière Heure, 29 décembre 1954

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