CULTURE SANG & OR

Les femmes et le football [1/3]

Ce lundi 1er juillet 2024, la Ligue féminine de football professionnel (LFFP) a enfin vu le jour. Reconnaissance extrêmement tardive, et pas de géant dans le football féminin français, d’autant qu’il reste encore un long chemin à parcourir. Culture Sang et Or revient sur cette histoire aussi passionnante que sujette à controverses, clichés et polémiques : celle des femmes et du football. Premier volet sur les pionnières britanniques.

La capitaine Lily Parr entourée par son équipe, l'une des premières icônes du football féminin anglais
Lily Parr et ses coéquipières du Dick, Kerr’s Ladies FC
Photo Libération
Les origines

Le football féminin, à l’instar de nombreux sports collectifs, trouve ses racines en Angleterre. Malgré une mentalité très conservatrice, la fièvre du ballon rond qui s’est emparée du pays finit aussi par toucher les femmes. Le premier match officiel entre deux équipes féminines est organisé le 9 mai 1881 à Édimbourg. Il oppose des Écossaises à des Anglaises, sans qu’aucun club n’ait encore été créé. À cette époque, le Sheffield FC, premier club de football masculin, existait déjà depuis vingt-quatre ans, et la Fédération anglaise de football (FA) depuis dix-huit ans. Voici ce que raconte le Glasgow Herald, journal local, à propos de la rencontre :

« Les jeunes femmes, qui devaient avoir entre dix-huit et vingt-quatre ans, étaient élégamment vêtues. Les Écossaises portaient des maillots bleus, des culottes [ndlt : des pantalons larges et courts de l’époque] blanches, des collants rouges, une ceinture rouge, des bottes à talon et un capuchon bleu et blanc. Leurs sœurs anglaises avaient des maillots bleus et blancs, des collants et une ceinture bleue, des bottes à talon et un capuchon blanc et rouge. »

Les Écossaises
Les Écossaises quelques années plus tard
Photo Daily Record

L’impulsion est donnée. Si l’initiative est bien accueillie ce jour-là, ce n’est malheureusement pas le cas lors de la rencontre suivante des joueuses écossaises à Glasgow, le 16 mai 1881. Voici ce que nous en dit le Nottinghamshire Guardian :

« Ce qui sera probablement la première et la dernière démonstration d’un match de football féminin à Glasgow s’est déroulé lundi soir, à Shawfield. […] Le piètre entraînement des équipes ne présageait pas d’une excellente compétence de jeu, et si l’étalage de leurs tactiques footballistiques était désolant, ce n’était rien de plus que ce à quoi certains avaient dû s’attendre, et guère pire que les premiers efforts de nos clubs les plus illustres. »

Le jugement est quelque peu cassant, mais, soulignons-le, le rédacteur observe que les prestations des footballeurs masculins n’étaient pas si différentes que cela à leurs débuts. Homme ou femme, quand on débute dans un sport, la qualité laisse à désirer. Merci Captain Obvious, diront certains.

La capitaine écossaise Helen Matthews
Helen Matthews, cap. écossaise
Photo Daily Record

Un peu plus loin dans l’article, après avoir passé quelques commentaires vestimentaires visiblement indispensables, nous apprenons que les hommes chargés de jouer les arbitres étaient « encore plus ignorants des rudiments les plus élémentaires des règles » que les joueuses. Et qu’un violent envahissement de terrain est survenu à la 55e minute : les spectateurs – majoritairement des hommes – ont laissé éclater un irrépressible besoin de s’en prendre physiquement à elles. Ce n’est que grâce à l’aide de la police que ces dernières ont réussi à s’enfuir. Richard Holt, historien du sport, résume parfaitement la crainte des messieurs de l’époque : « Comment les hommes pouvaient-ils être des hommes si les femmes prenaient possession des activités mêmes à travers lesquelles la masculinité était définie ? »

âge d’or et déclin forcé

Malgré des heurts qui nous rappellent que la société victorienne est encore loin d’être tolérante, la pratique se développe aux quatre coins du Royaume-Uni, avec un engouement croissant. Mais elle est également perçue comme un acte politique. On compte parmi les pionnières du football féminin de nombreuses féministes revendiquées, autant issues de la classe moyenne que de l’aristocratie. Bien sûr, toutes les joueuses ne se reconnaissent pas comme telles, mais en ces temps-là, le simple fait de poser le pied sur le cuir revêt une dimension militante.

En parlant de pied, il faudra tout de même attendre 1895, soit quatorze ans de pratique, pour que les joueuses puissent enfin porter des chaussures de sport adaptées. Cette même année, le premier club de football féminin voit le jour : le British Ladies Football Club, présidé par Lady Florence Dixie, une aristocrate correspondante de guerre et militante féministe. Ce club prendra notamment part à des confrontations face à des équipes masculines et s’illustrera par des victoires. L’anxiété monte chez certains hommes : le risque de voir leur supériorité remise en question dans la société n’est jamais pris à la légère.

Match féminin dans les années 1910-20 en Angleterre
Match féminin dans les années 1910-20 en Angleterre
Photo The Historic England Blog

Le football féminin connaît son âge d’or en Angleterre au début du XXe siècle. Mais comme le laissaient présager les préoccupations égoïstes des hommes, son succès sera aussi éclatant qu’éphémère. Le 5 décembre 1921, alors que l’on dénombrait 150 équipes féminines en Angleterre et que leurs matchs pouvaient attirer jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de spectateurs, un coup de tonnerre éclate : l’association britannique de football, la FA, décide de bannir les femmes des terrains.

Cette décision est prise au prétexte que « le football est inapproprié pour les femmes. » En vérité, les hommes de la fédération ne supportaient plus cette concurrence. L’interdiction perdurera pendant pas moins de cinquante ans, et ses effets se font ressentir aujourd’hui encore, comme en témoigne l’auteur et journaliste sportif Simon Kuper dans les colonnes du Spectator en 2022 :

« Le moment qui a précédé la chute du football féminin peut être daté avec précision. Lors du Boxing Day de l’année 1920, le Dick, Kerr Ladies FC a battu le club de St Helen 4-0 dans un Goodison Park à guichets fermés, sous les yeux de 53.000 spectateurs ayant acheté leur ticket. C’en fut trop pour les hommes de la Football Association. Hystériques à la vue de ces femmes courant comme bon leur semblait, et effrayés par la concurrence du football féminin, ils le bannirent un an plus tard. “Le football est un sport tout à fait inapproprié pour les femmes”, décrètera la règle. À partir de ce jour, la FA a interdit aux clubs masculins de laisser les femmes utiliser leurs terrains. Les joueuses en furent réduites à utiliser des pulls en guise de poteaux de buts dans des parcs. Dans les années qui suivirent, un bon nombre des associations de football les plus éminentes dans le monde suivirent l’exemple de la FA. Cette foule amassée à Goodison Park en 1920 restera un record d’affluence pour un match de football féminin jusqu’en 2019. »

Ce n’est qu’en 2008 que la FA présentera ses excuses pour avoir exclu les femmes du jeu pendant un demi-siècle. Voilà un élément qui étayera la réflexion de ceux qui se demandent pourquoi les femmes ont cumulé à une époque autant de retard sur leurs confrères. Et puisque l’on parle des autres associations de football dans le monde : qu’en est-il de la France ? C’est ce que nous verrons dans un prochain article…

À suivre…

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