Les départs d’Arnaud Pouille et Franck Haise interpellent. Ils sont remplacés par Pierre Dréossi en attendant Will Still. Le RC Lens est finalement un club comme les autres, qui a aujourd’hui rendez-vous avec son destin.
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Le RC Lens a embrassé la modernité et tout le monde s’en est réjoui. La preuve : depuis qu’il est remonté en L1, les résultats sportifs dépassent les projections les plus optimistes. Depuis la prise de pouvoir de Joseph Oughourlian, tout a toujours été savamment réfléchi, anticipé, tranché. Mais des décisions ont aussi parfois surpris, comme quand Philippe Montanier, entraîneur d’un RC Lens alors dans la course pour la montée, avait été remplacé par cet entraîneur anonyme qui n’avait eu pour expérience à la tête d’une équipe professionnelle qu’un court intérim sur le banc lorientais. Depuis, le RC Lens est redevenu ce club qui compte, et la présidence forte que souhaite incarner Joseph Oughourlian frappe désormais l’équipe qui a brillamment redoré le blason Sang et Or.
Et cette fois, le coup de balai n’emporte pas uniquement le coach, mais une grande partie de la direction sportive. Frédéric Hébert, d’abord, dont les jours étaient comptés depuis de nombreuses semaines, puis Arnaud Pouille, en attendant l’officialisation du départ de l’entraîneur Franck Haise.
Un raz-de-marée qui laisse l’ensemble des observateurs et une grande partie des supporters pantois. Le triumvirat gagnant du RC Lens avait déjà perdu un de ses artisans à l’automne 2022, quand Florent Ghisolfi s’engageait à Nice. Mais cette fois, que s’est-il passé à La Gaillette pour en arriver à un tel extrême ?
Dans cette affaire, il n’y a pas de gentils ni de méchants. Seulement des intérêts qui divergent désormais au point qu’une cohabitation semblait devenir impossible. Le duo Arnaud Pouille – Franck Haise avait dû « improviser » une nouvelle organisation lors du départ de Florent Ghisolfi, l’entraîneur devenant manager général, supervisant ainsi toutes les dimensions du sportif. Et si les résultats sportifs sont à mettre à son crédit, il est impossible de fermer les yeux sur l’instabilité chronique qui règne à la direction sportive, ainsi que les recrutements qui ont été réalisés dès lors. Et une dérive des charges qui a fortement irrité l’actionnaire majoritaire, qui a toujours fait de l’autofinancement du RC Lens une priorité absolue.
Représentativité vs résultats
Une instabilité couplée à un recrutement massif de joueurs difficilement valorisables et grassement payés, dont le rendement sportif s’est effrité au fur et à mesure que la saison 2023-24 avançait. Des renforts arrivés lors du mercato d’hiver 2022-23 à ceux de la dernière intersaison, tous imputables au bilan d’un Franck Haise qui aurait pu s’épargner certaines déclarations – notamment celle suivant la défaite à Lille visant assez explicitement le niveau de son effectif –, mais surtout l’intégration de son fils Maël au sein de la cellule de recrutement du RC Lens. Une anecdote assez peu relatée, comme si on désirait légitimement préserver le plus possible l’icône qui a tant incarné le retour lensois au très haut niveau. Et soigner la sortie d’un homme qui, à l’instar d’Arnaud Pouille, représente bien plus qu’une simple réussite sportive dans les tribunes de Bollaert-Delelis.
Car c’est aussi de cela qu’il s’agit. La représentativité. Le fait de se reconnaître en des hommes. Suite aux récentes annonces, l’étonnement a rapidement été suivi d’une grosse colère. Les groupes de supporters, menés par les Red Tigers, ont ainsi dégainé un communiqué puis des banderoles, contestant vivement les prises de décisions de la gouvernance – à savoir nommer directement un responsable de recrutement à la sulfureuse réputation dans un procédé d’interventionnisme absolu, mais également remplacer un Directeur Général du cru qui connaissait le contexte RC Lens sur le bout des doigts par un homme de l’ancien monde qui a œuvré dans sa jeunesse pour le compte du rival honni, le Lille OSC. Joseph Oughourlian a donc porté sur choix sur Pierre Dréossi qui « managera le club avec une forte tonalité sportive et une ambition de rationalisation de ses moyens. »
On parle ici de doutes quant aux méthodes de gouvernance, et d’une perte de ce sentiment de représentation, d’autant plus valorisé qu’il était accompagné d’excellents résultats. Il est toutefois bon de rappeler que cette situation qui avait tout d’un « âge d’or » ne se retrouve quasiment nulle part dans le paysage footballistique français. Et que le plaisir qui découle du fait d’avoir des gens du sérail n’assure en rien la pérennité économique d’un club encore traumatisé par la décennie passée en L2, conséquence directe de la folie des grandeurs de l’historique président Gervais Martel.
Si la posture de contre-pouvoir des groupes de supporters est tout à fait légitime, elle tend à se confronter à une autre tendance grandissante dans les tribunes de Bollaert : la confiance aveugle en Joseph Oughourlian, pourvu que les résultats suivent. Et dans cette époque où la radicalité a dépassé la nuance, le risque qu’un schisme profond et sans compromis entre ces deux mouvements se produise est très important. La situation est explosive et la future direction devra très rapidement justifier ses décisions afin de contenir la défiance d’une partie de la communauté lensoise.
Si les clubs de football sont aujourd’hui des entités privées, il serait incongru de les comparer à des entreprises de droit commun, tant ils sont profondément ancrés dans leur territoire et contribuent à leur rayonnement. La poursuite du dialogue sera une des clefs de voute de la poursuite du bon développement du RC Lens. Joseph Oughourlian et Pierre Dréossi ont prévu de rencontrer les responsables des groupes de supporters ce mercredi 5 juin.