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Joseph Strohs le légionnaire

Destin hors du commun que celui de Joseph Strohs, footballeur du club juif du SC Hakoah Vienne. Il quitte l’Autriche en 1937 pour la France, ce qui lui sauvera probablement la vie. Si quitter son pays lui fait échapper à la prise de pouvoir des Nazis, venir à Lens ne s’avérera pas sans risques, et la Seconde Guerre mondiale, qui éclate peu après son arrivée, va une nouvelle fois bouleverser son destin, en l’obligeant à fuir une fois de plus.

SC Hakoah 1926
Le SC Hakoah Vienne en 1926
© Footballski

Né le 4 mai 1908 à Vienne, Joseph Strohs débute après ses études son apprentissage chez un maroquinier tout en entamant une carrière de footballeur au sein du club du SC Hakoah Vienne. Fondé en 1909, ce club multisport permet à la communauté juive de pratiquer un sport dans un contexte de discrimination et d’antisémitisme croissants. Très vite, c’est la section football qui se distingue par ses résultats. Entre 1920 et 1930, le club connaît une renommée mondiale en participant aux Jeux olympiques et en effectuant des matchs d’exhibition à travers le monde. En 1920, le club accède à l’élite nationale et remporte son premier titre de champion lors de la saison 1924/1925, avec dans ses rangs un certain József Eisenhoffer, qu’il aura l’occasion de recroiser plus tard en France.

En 1926, lors d’une tournée en Amérique, le club perd plusieurs de ses meilleurs éléments qui choisissent de rester aux États-Unis et de jouer pour les Giants de New York. En raison de la situation de plus en plus difficile en Autriche, Erno Schwarz, Max Gruenwald, Albert Gutman et Moriz Haeusler décident de ne pas retourner à Vienne. Joseph, encore trop jeune, ne fait pas partie de cette tournée. Quand l’année suivante, en 1927, le club repart pour les États-Unis, cette fois le plus jeune membre de l’équipe, Joseph Strohs, fait partie du voyage. Le club traverse ensuite de grandes difficultés financières et sportives, mais parvient tant bien que mal à se maintenir dans l’élite nationale. En 1937, Joseph décide à son tour de quitter le pays pour rejoindre la France et le Racing Club de Lens. Un choix judicieux, puisque le 12 mars 1938, l’Allemagne nazie annexe l’Autriche, et le SC Hakoah Vienne est démantelé.

SC Hakoah

Si de nombreux membres du club émigrent rapidement vers Tel-Aviv, Londres, les États-Unis ou encore la France, ce n’est pas le cas de tous. Max Scheuer, capitaine de l’Hakoah, est exécuté par les nazis alors qu’il tente de fuir vers la Suisse. De même, ses coéquipiers Josef Kolisch, Ali Schönfeld, Oskar Grasgrün, Ernst Horowitz, ainsi que les frères Erwin et Oskar Pollak, sont tous exécutés. Fritz Löhner-Beda, co-fondateur du club, est quant à lui battu à mort à Auschwitz en 1942. Trente-neuf autres membres du club périront également dans ces camps de la mort.

Joseph Strohs, qui évolue en tant qu’arrière ou demi-centre, arrive dans la cité minière et s’installe non loin de Viktor Spechtl, coéquipier et compatriote autrichien, au 38 rue de la Gare. Sous la houlette de l’entraîneur John Galbraith, les Lensois viennent d’accéder pour la première fois de leur histoire à l’élite du football français. Après une année passée entre la réserve et l’équipe première, Joseph et son compatriote Viktor font la une de la presse locale. En juin 1938, les journaux titrent : « Bagarre entre étrangers dans un établissement à Lens ». Alors que les deux compères sont au comptoir, ils se retrouvent bien malgré eux mêlés à une altercation qui se limite à quelques coups de poing. Un peu plus tard, plusieurs individus sortent de l’établissement pour poursuivre leur règlement de comptes à l’extérieur. Bilan : un blessé léger et un blessé grave, touché par un coup de couteau (intestin perforé). L’auteur du coup de couteau ne sera jamais identifié. Heureusement, nos deux Lensois sont mis hors de cause.

Joseph Strohs
© Mémoire des hommes

À l’été 1938, Joseph retrouve un de ses anciens coéquipiers de l’Hakoah, József Eisenhoffer, qui devient l’entraîneur du Racing Club de Lens. Au cours de cette deuxième saison, Joseph parvient petit à petit à grappiller du temps de jeu et à apparaître de plus en plus dans le groupe professionnel. Mais un événement va de nouveau bouleverser sa vie. Le 1ᵉʳ septembre 1939, la Seconde Guerre mondiale éclate. Joseph prend alors immédiatement la décision de se battre pour la France en s’engageant à Arras, dans le régiment de marche des volontaires étrangers.

Un peu plus d’un an après son enrôlement chez les légionnaires, en décembre 1940, une drôle de brève apparaît dans le journal La Provence :

L’ex-Lensois Strohs à Marseille

L’excellent joueur de l’Hakoah de Vienne, Strohs, qui a joué pendant deux ans à Lens comme demi-centre et arrière, est à Marseille depuis quelques jours. Ayant servi la France dans la Légion étrangère, il peut jouer dans les rangs d’une équipe professionnelle ou amateur, ou encore être utilisé comme entraîneur. Qui utilisera ses services ? Pour tous renseignements, écrire à M. Strohs, à La Provence Sportive.

La Provence, 9 décembre 1940

Cette sorte de petite annonce porte ses fruits, car en 1941, il rejoint le club de Cransac, en Aveyron, donc en zone libre, en tant qu’entraîneur-joueur. Cependant, il ne sera jamais qualifié et ne disputera aucun match pour le FC Cransac. Pendant ce temps, son ami Viktor Spechtl rejoint l’équipe de Cazères, une petite ville de Haute-Garonne, également en zone libre.

Dans le livre de Nicolas Mariot et Claire Zalc, Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre, qui retrace le parcours des Juifs de Lens, on apprend l’existence d’un 992e homme, qui ne figurait sur aucune liste de Juifs établie pendant la guerre. Dans la nuit du 22 septembre 1942, cet homme passe la frontière suisse à hauteur d’Annemasse, dort quelques heures dans un champ, rejoint Genève à pied et prend ensuite le train pour Zurich. C’est là qu’il se rend dans les locaux de la police suisse pour raconter son histoire. Son histoire, c’est celle de Joseph Strohs.

De footballeur prometteur à réfugié fuyant la guerre, Joseph Strohs a pris des décisions difficiles pour échapper à la persécution. Son histoire est celle de nombreux exilés, contraints de quitter leur pays, de recommencer ailleurs et de lutter pour leur liberté, parfois au prix de grands sacrifices. Son destin rappelle les défis auxquels tant de personnes ont dû faire face pendant cette période sombre de l’histoire.

Sources :

  • Nicolas Mariot, Claire Zalc, Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre
  • William Bowman, Hakoah Vienna and the International Nature of Interwar Austrian Sports
  • Thierry Arnal, Allez Racing : décryptage du processus d’affirmation et d’idéalisation d’une identité minière au sein d’un club de football amateur du bassin houiller aveyronnais (1951-1961)
  • laviedesidees.fr
  • footballski.fr
  • Mémoire des hommes
  • L’Écho du Nord, 13 juin 1938
  • L’Auto-vélo, 19 août 1937
  • La Provence, 9 décembre 1940

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