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Imre Dankó, un grain de folie

Le Hongrois reste une figure énigmatique du football français. Peu de joueurs ont laissé autant de mystère derrière eux. À la fois brillant et éphémère, Imre Dankó n’a jamais été du genre à s’installer durablement dans un club, Lens compris, choisissant souvent de tracer sa propre route. C’est finalement en Colombie qu’il finit par trouver son chez-soi, s’y ancrant définitivement et marquant à jamais l’histoire de la ville de Barranquilla.

Imré Danko
RC Lens 1948/1949
© RC Lens
La France

Le nom d’Imre Dankó fait son apparition en France en septembre 1947, du côté d’Angers, où est attendu le centre avant hongrois, en provenance du club d’Ujpest. Toutes les formalités sont presque réglées, mais un dernier élément manque pour finaliser son transfert. Le jeune attaquant ne mettra jamais les pieds en Anjou.

Il faut attendre le mois de décembre pour le voir débarquer… à Lyon. Après seulement six petits mois passés sur les bords du Rhône, il file vers le RC Lens pour la saison 1948-1949, qui lui offre également un poste d’employé au service constructions des Houillères. Le club lensois, désireux de retrouver rapidement sa place en première division, mise sur un duo offensif est-européen, Dankó-Stanis. Pour ce faire, l’entraîneur Nicolas Hibst choisit de laisser Stanis au centre et de décaler Danko sur le flanc gauche. Une décision que le Hongrois aura bien du mal à supporter. En janvier 1949, après une défaite en 32e de finale Coupe de France face au voisin lillois, Dankó est aperçu à la gare de Lille. Et il disparaît soudainement. Quelques semaines plus tard, le Groupement des clubs autorisés reçoit une demande de validation de transfert, émanant de Dankó, vers Gênes, en Italie. La demande est refusée, et le joueur est contraint de revenir à Lens dès le mois de mars pour terminer la saison.

Malgré cet épisode fâcheux, il réalise une saison plutôt satisfaisante sur le plan comptable. La saison suivante, le Racing est de retour en première division, et contre toute attente, Dankó reste au club. De nouveau mis en concurrence, il ne joue toutefois que 18 matches pour seulement 5 petits buts. Après deux saisons à Lens, Dankó décide une fois de plus de mettre fin à son aventure dans l’Artois à sa manière : il ne prévient personne et disparaît.

Malgré tout, il ne part pas sans laisser un petit cadeau. C’est lui qui a insisté auprès des dirigeants pour recruter un certain Xercès Louis, un ancien coéquipier qu’il avait connu à Lyon. Un choix que le RC Lens ne regrettera pas.

La Colombie

Intégré à une équipe composée de joueurs hongrois réfugiés après la guerre, Dankó parcourt l’Europe pour disputer des matchs d’exhibition. De passage en Espagne, la vedette de cette équipe magyare, László Kubala, se fait repérer par le FC Barcelone. Dankó, qui était son remplaçant, profite de son départ pour prendre un rôle proéminent au sein de cette formation.

Mais comment a-t-il bien pu atterrir en Colombie ? Alfonso Senior Quevedo, originaire de Barranquilla et président du club de Los Millonarios de Bogota (futur club d’un certain Deiver Machado), contacte la direction de l’équipe hongroise pour lui faire venir disputer des matchs en Amérique du Sud. Arrivé à Bogota en novembre 1951, Dankó joue contre Millonarios, Cali et Medellín avant de poursuivre vers l’Équateur. C’est à ce moment-là que les joueurs hongrois reçoivent des offres de clubs colombiens.

L’Autrichien Friedrich Donnenfeld, entraîneur de l’Atlético Junior de Barranquilla, suggère alors aux dirigeants du club, Correa et McAusland, de recruter la star de l’équipe hongroise. L’entraîneur de l’Atlético Junior ne supporte plus l’excentricité du célèbre attaquant brésilien Heleno de Freitas, international auriverde, et lui cherche un remplaçant. Parti pour Santos, Heleno laisse un vide que Dankó aura la lourde tâche de combler.

Imré Danko 1951
Atlético Junior 1951
© losmiuras1998

L’ex-Lensois accepte la proposition du club colombien, mais à une condition : que le club engage également quatre de ses coéquipiers et compatriotes, László Szőke, Ferenc Nyers, Bela Sarossy et Bela Maytenyi. Quelques jours après avoir foulé la pelouse du stade municipal de Barranquilla, il hérite du surnom de « Copete ». Le voilà désormais installé à Barranquilla, sur la côte caraïbe, dans un Atlético Junior qui vient tout juste de faire ses débuts dans le monde professionnel, tandis que la plupart des autres joueurs hongrois rejoignent un autre club, le Deportivo Samarios.

Le roi du café

Si Imre Dankó a marqué l’histoire du football en Colombie, c’est aussi dans sa vie personnelle qu’il a connu un destin hors du commun. Lorsqu’il croise le regard de la ravissante Marina Villalba, à travers la vitre d’une boutique, il tombe instantanément sous le charme de cette jeune femme issue d’une influente famille locale. Pourtant, leur amour se heurte aux réticences des Villalba, qui voient d’un mauvais œil leur union. Mais la passion finit par triompher, et le Magyar se retrouve propulsé dans un tout autre univers. Cette relation, bien plus qu’un mariage, lui offre une stabilité nouvelle et un ancrage définitif en Colombie. Marina Villalba est la fille de Don Celio Villalba, puissant entrepreneur et actionnaire majoritaire de Tropicale Almendra, l’une des entreprises phares de l’industrie du café en Colombie.

Almendra Tropical
Almendra Tropical
© Gómez cuenta
l’Après carrière

Dankó a profité de la Ligue pirate, une compétition créée en 1949 à la suite de la rupture entre la Colombie et la Fifa. Cette situation a permis à de nombreux joueurs étrangers d’intégrer des équipes colombiennes, profitant ainsi d’un véritable El Dorado. Cependant, cette période exceptionnelle prend fin en 1954, lorsque la Colombie réintègre la Fifa, qui exige alors le retour des joueurs étrangers dans leur pays.

Grâce à son intégration à la famille Villalba, Dankó reste à Barranquilla et ne s’éloigne jamais vraiment du football. Après avoir raccroché les crampons, il s’implique activement dans la gestion de l’Atlético Junior de Barranquilla. En 1965, il rejoint le club en tant que dirigeant, puis, en 1966, il intègre son tout premier conseil d’administration. Lorsqu’en 1971, le club traverse une crise économique sans précédent, il joue un rôle clé dans sa survie. Aux côtés du président Alberto Mario Pumarejo et d’autres figures influentes, il participe à une levée de fonds historique : quarante entrepreneurs réunissent chacun 50.000 dollars, et le gouvernement colombien apporte une aide de 200.000 dollars pour sauver le club.

Atletico junior 1966

Atlético Junior 1966
© Deporte Gráfico

À la fin des années 1960, il réunit les meilleurs joueurs de la région pour fonder Almendra Tropical, une équipe qui ne dispute que des matchs amicaux mais qui sert de vitrine aux talents colombiens. Son influence dans le football national s’étend ainsi bien au-delà de sa carrière de joueur.

Sur le plan familial, l’histoire semble se répéter. En 1977, sa fille Marina Dankó épouse le célèbre torero espagnol Sebastián « Palomo » Linares, après une romance tumultueuse rappelant celle de ses propres parents. Palomo et Marina se rencontrent à Palma de Majorque, où les Dankó Villalba ont l’habitude de séjourner en vacances.

Mannequin et passionnée d’art, Marina Danko Villalba a étudié à la Sorbonne, à Paris. Installée durablement en Espagne, elle s’éloigne progressivement de la Colombie, rompant peu à peu les liens avec son pays d’origine.

Marina Danko Villalba - Palomo Linares
Marina Danko Villalba & Palomo Linares
© Vanitatis

De joueur imprévisible et insaisissable, Dankó est devenu un homme enraciné. Son parcours atypique l’a mené de la Hongrie à la Colombie en passant par la France, façonnant une destinée où le sport, l’amour et l’ambition se sont entremêlés. À Barranquilla, il a su s’imposer comme une figure incontournable, de part sa contribution à l’Atlético Junior, et son engagement auprès des jeunes talents colombiens. Imre Dankó s’est éteint le 24 septembre 2002 à Barranquilla, la ville qui l’avait adopté et qu’il n’a jamais quittée.

Sources :

  • L’Équipe, 10 septembre 1947 et 18 janvier 1952
  • Ce soir, 17 août 1949
  • 100 años del Junior de Barranquilla: el inolvidable 1966 de Jaime Rueda
  • La verdadera historia de la Almendra Tropical de Jaime Rueda
  • Fuad Char : primer presidente campeón con el Junior de Francisco Figueroa
  • 60 años – I. Antecedentes de la eliminatoria para Arica 1962 d’Alberto Galvis Ramírez
  • Los clanes extranjeros del Junior en sus 90 años de Nilson Romo Mendoza
  • Historia de Imre Danko y Marina Villalba d’Adriana Judith Toledo Velasco
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