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Albert Guéant, l’histoire d’une nuit éternelle

Dans l’histoire du football lensois, certains noms résonnent avec une profondeur particulière. Albert Guéant en est un parfait exemple. Il se distingue par un parcours exceptionnel qui mêle drame personnel et engagement sportif. Son engagement indéfectible et son rôle déterminant dans la création du Supporters’ Club Lensois font de lui une figure emblématique du club. Découvrons ensemble l’histoire poignante de cet homme dont la passion pour le football a transcendé les épreuves.

Albert Guéant
Photo RC Lens

Albert Beloni Alfred Guéant est né le 10 juin 1895 à Chantilly. Il est le fils de Camille Guéant, garde-frein au chemin de fer, et de Célina Couviaux. Albert est l’avant-dernier d’une fratrie de quatre enfants : deux sœurs, Maria et Camille, ainsi qu’un frère, Marcel. Malheureusement, sa mère décède soudainement à l’âge de 38 ans, alors qu’Albert n’a que 6 ans.

Après ce drame, son père, Camille, se remarie le 30 octobre 1901 avec Aurélie Tabary à Guémappe, dans le Pas-de-Calais. Ensemble, ils font l’acquisition d’un hôtel-restaurant à Lens, situé rue Thiers (aujourd’hui rue Jean Letienne). Cet établissement s’appelait auparavant le café-restaurant du Chemin de Fer du Nord.

Hotel Restaurant Gueant Tabary
Hotel Restaurant Guéant – Tabary (à gauche)
Photo Delcampe

Après seulement quatre ans d’existence, le RC Lens, qui dispose de moyens limités, perd de nombreux joueurs partis rejoindre des clubs voisins tels qu’Arras, Béthune ou encore Douai. À cela, s’ajoutent les départs de ceux contraints d’effectuer leurs trois années de service militaire, laissant le club en pénurie de joueurs. Face à cette situation d’urgence, Raymond Couvreur prend les choses en main et devient le premier recruteur du RC Lens. Un soir, il se rend sur la Place Verte, lieu emblématique où tout avait commencé quelques années plus tôt, pour y rencontrer de jeunes footballeurs en herbe. C’est ainsi qu’il parvient à convaincre Séverin Leleu, Léon Hébert, les frères Coviaux et un certain Albert Guéant de rejoindre les rangs du club.

Albert Guéant, alors employé à la mairie de Lens, participe à la campagne contre l’Allemagne à partir de septembre 1916. Après avoir servi dans le 73e régiment d’infanterie et le 20e escadron du train, il est rapidement réformé en raison de « troubles diffus de la cornée » et d’une « scléro-choroïdite postérieure ». Il perd alors l’usage de son œil gauche, puis du droit quelques années plus tard, lorsque la maladie progresse. Une nuit éternelle commence alors pour lui.

Albert Guéant
Photo RC Lens

Malgré sa cécité, Albert ne renonce pas au football. Il devient un fervent supporter du RC Lens. En 1928, quelques sportifs et passionnés du club, dont Philippe Vanooteghem et Maurice Carton, se réunissent au café situé en face du monument aux morts, ainsi qu’au café Lefebvre, boulevard Basly. C’est ainsi que fut désigné le premier comité provisoire du Supporters’ Club Lensois, avec Albert Guéant comme vice-président. Ce groupe ne se contente pas d’encourager l’équipe, il contribue également au financement de plusieurs équipes de jeunes, notamment dans les catégories minimes et sous-minimes.

Albert Guéant ne manque plus aucun match. La légende raconte même qu’il est le premier abonné du Racing. Mais comment fait-il pour suivre les rencontres ? Bien qu’il soit privé de la vue, il suit les rencontres grâce à une acuité auditive remarquable.

Je ne vous dirais pas que rien ne m’échappe des rencontres, mais croyez-moi, les bruits, les cris, les rumeurs m’en révèlent assez pour me rendre à la joie du jeu.

Albert Guéant
Photo Gallica BnF

Albert possède une montre à gousset dont les aiguilles ne sont pas protégées, ce qui lui permet de chronométrer la partie. En se basant sur la fréquence des dégagements et des longs coups de pied, il peut déterminer si le jeu privilégie les passes courtes.

Oh ! Que Lens joue mal aujourd’hui ! Ça joue en l’air tout le temps…

Le vice-président du club, M. Lerat, témoigne de l’engagement et du savoir-faire d’Albert Guéant :

Malgré sa cécité, il suit tous les matchs et reconnaît les joueurs à leurs dégagements.

De supporter à recruteur, il n’y a qu’un pas. Albert, avec un enthousiasme débordant, fait une telle promotion de Césember, l’avant-centre nordiste, qu’il parvient à influencer les dirigeants lensois. Sous la pression de ses arguments passionnés, le club finit par lui donner raison et cède à son insistance.

Extraordinaire, n’est-ce pas ? Oui, mais pas autant qu’il n’y paraît. Des clubs dirigés par des aveugles, ce n’est pas si rare…

Albert Guéant épouse Angélique Vanderaerde le 16 mai 1942 à Lens et décède le 23 mars 1974. Ancien capitaine de l’équipe lensoise, il est reconnu pour sa fidélité exceptionnelle au club. Son rôle crucial dans la création du Supporters’ Club Lensois, ainsi que sa capacité remarquable à suivre les matchs grâce à son sens aigu de l’écoute fait de lui une figure incontournable et attachante du football lensois.

Football, qui verse l’oubli à ce malheureux et lui apporte le réconfort, tu as décidément plus de vertus encore qu’on ne t’en reconnaît.

Victor Denis, reporter pour le Miroir des sports

Sources :

  • RC Lens secret de transferts
  • Plaquette souvenir du cinquantenaire du Racing Club de Lens
  • Archives du Pas-de-Calais
  • Archives de l’Oise
  • Geneanet
  • Le Miroir des sports – 19 janvier 1937
  • Le Miroir des sports – 27 décembre 1932
  • L’Auto-vélo – 12 janvier 1937
  • l’Intran – 17 mars 1936
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