Elias Melul Amselem, né au Maroc, joueur complet, d’une solidité à toute épreuve et doté d’une frappe de balle hors du commun, fut le témoin direct de l’histoire mouvementée du RC Lens et du football européen pendant la Seconde Guerre mondiale. Retour sur son parcours de voyageur.

Photo RC Lens
Né le 31 mars 1916 à Larache, au sud de Tanger, alors sous protectorat espagnol, Elias passe son enfance au Maroc. Il fait ses débuts dans le monde du football au sein du club de l’ASTF (Association sportive de Tanger-Fès), où il répète ses gammes et commence à se faire un nom dans le championnat local. Ailier de formation, il montre très tôt une grande polyvalence qu’il confirmera tout au long de sa carrière. Il évolue aussi bien en défense qu’en attaque, selon les besoins de son équipe. On cite souvent, à tort, à un passage au FC Séville durant sa jeunesse, sans qu’aucune trace ne confirme cette étape espagnole. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’il attire rapidement l’attention des dirigeants lensois. En 1937, il franchit la Méditerranée pour rejoindre la France et s’engager avec le Racing Club de Lens, tout juste promu pour la première fois de son histoire en première division.
Le club artésien, alors en pleine effervescence, recrute à tour de bras : le gardien de but Roland Didier, Pierre Ortin, Franz Unser, Joseph Strons, Édouard Meyer, Albert François, l’international autrichien Georges Waiz… et Elias Melul, présenté comme un robuste gaillard venu des colonies. Après une première saison très compliquée, où le club se sauve in extremis, la deuxième voit le RC Lens terminer à une belle 7ᵉ place. Mais à peine deux ans après une arrivée en France, tout bascule : la guerre éclate et Elias, en tant que joueur juif marocain, se voit contraint de quitter le pays pour sa sécurité.
L’exil
Alors que Lens se trouve en zone occupée, le président lensois Louis Brossard, conscient du danger que représentent pour Elias ses origines, l’incite à quitter la France. Il lui promet de le faire revenir lorsque la situation le permettra. Elias ne le sait pas encore, mais ce conseil vient très certainement de lui sauver la vie. En octobre 1940, la loi sur le statut des Juifs entre en vigueur. En repartant avec sa famille au Maroc, Elias échappe ainsi à la rafle du 11 septembre 1942, qui enverra des centaines de Lensois dans les camps de la mort.
Installé dans la ville de Ceuta, enclave espagnole sur la côte nord de l’Afrique, frontalière avec le Maroc, Elias rejoint le club local, la Sociedad Deportiva Ceuta, qui évolue alors en deuxième division. Reconverti au poste d’arrière, il devient rapidement un joueur incontournable de l’équipe. La saison 1942-1943 voit Ceuta remporter la poule de la première phase, avant de terminer 5ᵉ sur 6 lors de la phase de promotion, derrière des clubs bien plus puissants comme la Real Sociedad, Valladolid ou Gijón.
Cette période est également marquée par deux rencontres amicales historiques contre le Real Madrid. Le 5 janvier 1942, la SD Ceuta affronte les Madrilènes au stade de Chamartín (détruit plus tard pour laisser place au Santiago Bernabéu) et s’incline 2-0. Le 20 septembre de la même année a lieu le match retour sur le continent africain, où les locaux parviennent cette fois à accrocher le nul (2-2à. Une belle expérience pour Elias qui figure dans le onze de départ de ces deux confrontations. Cette même saison, le club atteint les quarts de finale de la Copa del Generalísimo (aujourd’hui Copa del Rey), une performance majeure. Elias rejoint ensuite brièvement le club de Grenade, en Andalousie, sans vraiment parvenir à s’y imposer, avant que le président lensois Louis Brossard tienne sa promesse.
Retour en France
À la Libération, le dirigeant lensois rappelle Elias Melul. Il lui propose également un poste de mécanographe aux Houillères, permettant au joueur et à sa famille de s’installer durablement dans la région. Elias retrouve le RC Lens et participe activement à la reconstruction du club sang et or. Repositionné en défense, il devient une pièce maîtresse de l’équipe. Il connaît la descente en deuxième division en 1947, mais vit également la belle épopée de la Coupe de France en 1948, avec une finale perdue face au LOSC. En 1949, le club est champion de deuxième division et retrouve l’élite du football français. C’est durant cette période qu’Elias acquiert une réputation de frappeur exceptionnel : lors d’un match contre Nîmes, au cours de la saison 1948-1949, un de ses tirs de 25 mètres fracture un des poteaux de but.
Athlète très complet, il est également passionné de natation. Il est proche de la famille Vallerey, notamment de Georges, nageur d’exception et médaillé olympique en 1948, originaire d’Amiens.

Reconversion
Après avoir obtenu sa naturalisation, Elias fait un passage éclair à Amiens en 1951-1952, puis devient joueur-entraîneur de l’USA Liévin. Diplômé du centre de formation de Reims en 1952, où il se classe 6ᵉ sur 40, il réalise un rêve : entraîner une équipe de la région, transmettre sa passion pour le football. Il poursuivra ensuite sa carrière d’entraîneur dans plusieurs clubs locaux, parmi lesquels Avion, le Stade héninois, Auchel, Barlin, ainsi que les jeunes du RC Lens, faisant passer son expérience aux générations suivantes. Elias Melul s’éteint en juin 1980 à Lens, laissant derrière lui une trace durable dans le football régional.
Un héritage familial et sportif
Son fils, Joseph, devient professeur de lettres au lycée Condorcet de Lens, tandis que son petit-fils Philippe accomplit un exploit unique : un tour du monde ferroviaire, lors duquel il parcourt 62 000 km à bord de 101 trains et découvre une trentaine de pays sur les cinq continents. Ce périple est raconté dans son livre Le Tour du monde en train, en 1999, un hommage à l’esprit de curiosité et de persévérance qui traverse la famille Melul.
Sources :
- amiensfootbraun.wordpress.com
- elpueblodeceuta.es
- futboleriadeceuta.blogspot.com
- tourmag.com
- cementerio-judio-larache.com
- ceutareportajes.blogspot.com
- Le Lensois normand
- France-Soir, 4 septembre 1945
- La Croix du Nord, 25 juillet 1952
- Maroc-Matin, 7 janvier 1937
- Le Petit Marocain, 4 mars 1935
- Mineurs : bulletin de liaison, 1er novembre 1948
