Egon Jönsson, la locomotive suédoise, a failli faire partie de la première équipe du RC Lens à décrocher le titre de champion de France. Cet avant-centre, véritable force de la nature, doté d’une stature impressionnante et d’une force de frappe rarement vue avant lui, a marqué de son empreinte le championnat français pendant près d’une décennie.
Einar Jönsson, né le 15 février 1891, et Ester Alfrida Ingeborg Timansson, née le 6 décembre 1899, donnent naissance au petit Egon le 6 décembre 1926 à Höganäs en Suède. Enfant, il s’est entraîné à la lutte, sport de force et d’agilité plus populaire dans ces années 30. Fan inconditionnel des frères Lennart et Torsten Bunke, joueurs de l’équipe nationale suédoise, il intègre un des clubs de sa ville natale, l’Öresunds BK. Il part ensuite au nord de Göteborg, à Vårgårda, pour y suivre sa formation militaire. Dans le même temps, il signe dans le club de Vårgårda IK et fait la rencontre de celle qui deviendra sa femme, Karin. Après son service militaire, il repart à Höganäs et rejoint le club d’Höganäs BK. Très rapidement, pour se rapprocher de Karin, il retourne à Göteborg pour jouer avec l’équipe de Redbergslids IK. À 22 ans, il devient policier à Göteborg et rejoint le club du GAIS (Göteborgs Atlet- & Idrottssällskap) sous la houlette d’un mystérieux entraîneur suisse, Willy Wolf. C’est au GAIS que celui qu’on surnomme « Atom Egon » va se révéler aux yeux du public suédois.
Il est convoqué pour la première fois avec l’équipe nationale pour jouer un amical contre la grande Angleterre, le 13 mai 1949 au stade Råsunda. Un peu avant la mi-temps, alors que son équipe mène déjà 2-0, Egon saisit sa chance. Il tire de toutes ses forces dans le ballon à 25 m des buts gardés par Ted Ditchburn de Tottenham, alors classé parmi les meilleurs gardiens au monde. Ditchburn ne peut que constater les dégâts et le ballon transperce les filets. La légende du tireur fou est née. Malheureusement, Jönsson (qui dans son pays se fait appeler Johnsson pour se distinguer d’un homonyme, également attaquant international) ne sera sélectionné qu’à deux reprises pour représenter son pays, la deuxième fois contre l’Irlande en éliminatoires de la Coupe du monde. Son départ pour la France ne va pas lui faciliter la tâche, puisqu’à cette époque, la Fédération favorise les joueurs évoluant dans le championnat national.
La vie Parisienne
Le 20 juillet 1950, Willy Wolf, qui entraîne le GAIS, est recruté par le Stade français pour prendre les rênes de l’équipe première. Également agent de joueurs, il va rapidement essayer de placer des compatriotes dans le championnat de France, alors que le football suédois est d’ordinaire un terrain de chasse des équipes italiennes. C’est ainsi qu’Egon Jönsson, Torgeir Torgersen et Willy Andresen atterrissent au Stade français. Mais ce n’est pas tout, le Suisse plaçant trois éléments à l’Olympique de Marseille, avec Dan Ekner, Gunnar Johansson et Gunnar Andersson.
Comme Wolf n’a pas attiré les meilleurs éléments vers son propre club, sa situation au Stade français va rapidement se détériorer. Néanmoins, Jönsson va tirer son épingle du jeu. C’est un joueur athlétique, qui renverse tout sur son passage, doté d’une puissante frappe de balle. Mais au poste d’avant-centre, il manque cruellement d’espace pour s’exprimer. Il est alors repositionné sur l’aile droite. Ses déboulés sur le côté vont en faire un des chouchous du public de Saint-Cloud. En cinq saisons avec le Stade français (trois en D1 et deux en D2), il inscrit 74 buts. Il finit meilleur buteur de D2 en 1952, avec 34 buts.
« Je me plais bien à Paris, ville incomparable dont j’ai visité je crois tous les quartiers, mais j’aurais aimé y venir avec Ekner. Malheureusement, le stade n’avait pas assez de briques à mettre sur la table. »
L’Équipe – 30 août 1950
Durant sa période parisienne, Willy Wolf le ramène chez lui en voiture après chaque entraînement. Le Suédois habite au troisième étage d’un immeuble du quartier de Ménilmontant, avec sa femme et leur fille Irène. Cet appartement a vu passer d’anciennes gloires du Stade français comme István Nyers ou encore André Riou. Pour être tout à fait à l’aise dans sa nouvelle vie parisienne, Egon Jönsson, qui aime faire son footing au bois de Boulogne et jouer de l’harmonica, tâche d’apprendre le français.
Dans son plan de carrière, Egon Jönsson s’imagine rester encore trois ou quatre saisons en France, en perfectionner sa maîtrise de la langue, et repartir en Suède pour changer de métier. En effet, il prévoit de reprendre la ferme de ses beaux-parents.
« Avant peu de temps, les Suédois qui jouent à l’étranger vont retourner là-bas, car le professionnalisme sera bientôt instauré, personnellement, je resterai encore 3 ou 4 saisons dans votre pays pour perfectionner mon français et je repartirai ensuite à Göteborg pour me consacrer uniquement aux affaires. »
L’Équipe – 5 décembre 1952
Le RC Lens
Les hasards du football vont l’amener à Lens. En décembre 1954, le RC Lens reçoit une offre qui ne se refuse pas. En pleine crise du charbon qui limite les finances du club, le FC Metz transmet une offre de 4.500.000 francs pour le transfert de Jean Desgranges. Les dirigeants et Tony Marek, qui veulent renforcer leur ligne d’attaque, foncent alors sur Egon Jönsson pour la même somme. Moins en vue avec le Stade français depuis deux saisons, ce gaillard au style direct est un gros pari pour le RC Lens. Le Suédois a la mauvaise réputation de foncer tout droit et de sacrifier la précision à la puissance. Mais à Lens, on n’a jamais oublié que Jönsson avait inscrit son premier but dans le championnat de France en 1951 contre les Sang et Or.
Derrière les buts, il y avait le panneau publicitaire d’une banque bien connue. Je peux vous dire que le petit écureuil a connu des moments bien difficiles.
La Saga des Sang et Or, Laurent Dremière
Après une demi-saison qui voit le RC Lens finir à une belle troisième place en D1, l’attaquant enchaîne deux superbes saisons pleines. Il finit deux fois meilleur buteur du club, avec respectivement 16 puis 29 buts, un total que très peu de joueurs ont atteint. Malheureusement, il passe de peu à côté d’un titre de champion de France en finissant deux fois vice-champion de France, en 1956 et 1957. Il forme avec Michel Stiévenard et Maryan Wisniewski un trio efficace. En 1957, le Suédois est parmi les plus redoutables buteurs du championnat national, avec Cisowski, Fontaine, Njo-Léa, Mekloufi ou encore Andersson. Ce joueur explosif vit cependant une vie paisible, à Vendin-le-Vieil, loin de l’agitation urbaine, où il apprend à tenir une ferme auprès des paysans locaux.
Après trois saisons au RC Lens, il file au FC Nancy, alors en D2, où il finit meilleur buteur du championnat avec 29 réalisations. Un an plus tard, en 1958, direction la Suisse et le club de Lausanne. Il avait été repéré par les Suisses lors d’un match contre le FC Nancy la saison précédente, où il avait particulièrement brillé. Après un peu plus d’une saison sur les bords du Léman, où il déplore un manque d’esprit d’équipe et de camaraderie au sein de son équipe première, il reprend la direction de la France, s’établissant au Sporting Club de Toulon. S’il a perdu un peu de sa vitesse, il a toujours conservé sa force de pénétration et sa violence de tir. Après une nouvelle saison réussie avec 17 buts inscrits, il repart en Suisse, en tant qu’entraîneur-joueur dans le club d’Yverdon, puis au FC Martigny Sports en tant qu’entraîneur de 1962 à 1967, pour ce qui sera sa dernière expérience dans le monde du football professionnel.
La Suisse sera le pays de sa reconversion. Au lieu de reprendre la ferme familiale en Suède à la fin de sa carrière de footballeur, Egon Jönsson a finalement choisi un autre chemin. Lui qui a suivi une formation de chiropracteur devient un praticien renommé dans le domaine des blessures sportives. Le 20 juillet 1985, à seulement 58 ans, il décède d’une maladie incurable, laissant derrière lui le souvenir d’un joueur attachant, prodigieux par sa force, et doté d’une puissance de frappe qui demeure à jamais gravée dans les mémoires.
Sources :
- Avant-propos du Racing club de Strasbourg – 7 février 1960 / 17 février 1957
- Le Figaro – 31 octobre 1952
- La Vie catholique illustrée – 30 mars 1952
- L’Humanité – 29 janvier 1952
- France-Soir – 8 janvier 1952 / 20 juillet 1950
- Geneanet
- L’Équipe – 5 décembre 1952 / 30 août 1950
- Libération – 16 février 1951
- Die Tat – 12 décembre 1959
- La Saga des Sang et Or, par Laurent Dremière
- E-newspaperarchives.ch
- Gallica
- wargardaihs.se